Mayumi
c’est ton vrai prénom et quelle est sa signification en japonais ?
Oui. Ma c’est la bonté, Yu la liberté et Mi c’est la beauté.
De
quelle ville japonaise viens-tu ?
Je
suis née à la campagne. Après l’université, je suis allée à Tokyo.
Avant de venir en France, je suis restée trois ans à Tokyo.
Peux-tu
me raconter les circonstances et les motivations de ton départ du
Japon ?
Quand
j’étais petite, je vivais à la campagne avec mes parents. Je viens
d’une famille très conservatrice. Mes amis sont très conservateurs.
Ils se marient à vingt-trois ans, ont des enfants. Moi, je n’aime
pas du tout ce côté traditionnel, donc j’ai quitté ma famille pour
aller à Tokyo. J’ai trouvé l’ambiance de Tokyo très superficielle.
Je venais de la campagne et j’étais très perturbée. Je n’arrivais
pas à établir des relations avec les gens.
Que
faisais-tu au Japon avant de venir en France ?
Je
travaillais comme attachée de presse dans le cinéma. J’ai découvert
la culture française au festival du film français à Tokyo. J’ai
été fascinée par cette culture. J’ai rencontré des Français et vu
les films de Godard que j’aime beaucoup.
As-tu
préparé ton départ pour la France ?
Pas
du tout. A Tokyo, tout est très speed. Je me suis posé beaucoup
de questions sur moi-même et ce que j’allais faire. Au bout d’un
moment, je me suis dit : ça va pas ! je dois quitter tout
ça. Mes parents ont dit non ! mais c’était trop tard, j’avais
déjà pris l’avion et je suis venue en France.
T’es
arrivée comme touriste ?
Oui,
j’avais un visa de touriste. Mais avant de partir du Japon, je m’étais
inscrite sur Internet dans une institution à Tours pour apprendre
le français. J’étais hébergée dans une famille à Tours. Je suis
arrivée directement à Tours du Japon. J’ai détesté. La famille chez
qui j’étais était très traditionnelle. On me disait : tu dois
rentrer tout de suite après l’école, ne va pas au café, ne bavarde
pas avec tes amis. J’aime beaucoup danser. Pour m’échapper, j’ai
pris des cours de salsa. La dame qui m’hébergeait m’a dit :
tu es une mauvais fille ! (rires) J’étais déçue parce que je
pensais que la France était plus libre, moins conservatrice que
le Japon.
Comment
s’est finie cette mésaventure à Tours ?
Au
bout de trois mois, je suis partie à Nice. Je pensais que les gens
seraient plus sympas parce qu’il y avait du soleil. J’ai continué
à prendre des cours de français. J’ai trouvé plus de liberté à Nice.
Et
l’arrivée à Paris ?
En
fait, je voulais faire une école de photo parce que quand j’ai quitté
le Japon, comme je n’étais pas bien, j’ai pensé à la photo comme
une façon d’exprimer mes sentiments. Ce n’était pas juste faire
des images, mais plutôt une volonté exprimer des choses à travers
la photo. Donc, je voulais maîtriser la technique, pour ça j’ai
pris des cours au centre Iris à Paris. Là, j’ai commencé à faire
beaucoup de photos en me mettant en scène.
Est-ce
que tu connaissais des gens à Paris ?
Non,
personne. J’ai trouvé un hébergement dans un centre, au Palais de
la femme, rue de Charonne, à Bastille.
Combien
de temps a duré ton apprentissage au centre Iris ?
Huit
mois. J’ai donc pu faire de nombreux essais photographiques, des
tirages au laboratoire. En faisant des autoportraits, je me suis
posée la question de savoir ce que je ressentais. Je me suis concentrée
sur moi-même, très égoïstement, avec l’appareil photo qui me regarde.
Je communiquais avec lui, j’étais plongée en moi et me posait toujours
la question : qu’est-ce que je sens ? pour nettoyer mon
désir de fantaisies, de fantasmes. Je projette trop de désir et
d’attente sur les gens que je rencontre. Mais il y a un décalage
entre le rêve et la réalité. Grâce à l’appareil photo, je peux regarder
mon désir et mes fantasmes.
Comment
s’est passée ta rencontre avec ton galeriste Kamel Mennour ?
Je
connaissais sa galerie mais pas lui personnellement. Je suis allée
au festival de la photo à Arles. C’est mon directeur d’école qui
se trouvait aussi à Arles qui a montré mon travail à Kamel. Ensuite
Kamel m’a dit : « c’est génial ! on va travailler
ensemble. » Quand je suis rentrée à Paris, je l’ai revu et
il a exposé mes photos à la Fiac, à Paris Photo, puis dans sa galerie.
Je ne pensais pas que ça allait se réaliser. J’ai confiance en lui.
Les
photos de l’exposition correspondent à quelle période de ta vie ?
C’était
pendant mon école. J’étais amoureuse de quelqu’un. Il y a quatre
Actes dans l’exposition qui correspondent à des états amoureux sur
une durée de huit mois. L’Acte, ça veut dire essayer de me regarder
moi-même avec l’appareil photo comme dans un miroir pour exprimer
mes sentiments du moment, ça peut être le désir, la solitude… Dans
ces quatre Actes, il y a deux garçons.
As-tu
photographié ces garçons ?
Non,
ils ne voulaient pas. Alors, j’ai tourné l’appareil vers moi-même,
comme ça j’ai pu m’échapper.
Est-ce
que tu te sens proche du travail d’autres autoportraitistes féminins
comme Cindy Sherman ou Francesca Woodman ?
Quelqu’un
m’a dit que mes photos ressemblaient à celles de Cindy Sherman,
parce qu’elle aussi se met en scène. Avant, je n’aimais pas les
photos de Cindy Sherman. Je trouvais ça dégueulasse. Puis j’ai compris
le message qu’elle veut faire passer, sa critique de la société,
son féminisme. Je la respecte beaucoup. Moi, je m’amuse avec mes
mises en scène.
Que
penses-tu de Nobuyoshi Araki ?
J’aime
beaucoup, surtout ses grandes photos. A l’école, c’était très classique,
dans le cadrage il ne fallait pas couper la tête, ni les bras, ni
les jambes. Araki, il coupe comme il veut. Je n’aime pas les photographes
qui mettent les gens bien dans le cadre.
Quel
matériel utilises-tu ?
Un
Nikon F 801 S et un pied. J’utilise de la diapositive 100 asa .
Tes
photographies sont des véritables mises en scène avec un sens du
cadrage toujours percutant. Comment se passe la préparation de la
prise de vues ?
Je travaille avec un retardateur. J’appuie et je cours vite pour
me mettre dans le cadre. J’aime beaucoup ça. C’est plus spontané
qu’avec un déclencheur. Parfois, je vois des endroits et cinq mois
après j’y retourne pour faire une photo. D’autres fois, je veux
faire une photo et je n’ai pas d’endroits, alors je dois chercher
un lieu.
Comment
contrôles-tu l’image lors de la prise de vues ?
Je ne contrôle pas. Je ne vois pas l’image. C’est pour ça que certaines
de mes photos sont floues. J’aime beaucoup le « par hasard »,
jouer avec les couleurs.
Ton
travail est une autobiographique de tes sentiments, une sorte de
journal intime mis en scène photographiquement.
Oui. Un ami japonais à qui je montrais mon travail au début
m’a dit que ç’était comme le journal d’Anne Franck. Elle s’est cachée
et a écrit un journal intime. Il m’a dit : « Mais elle
est morte et toi tu es vivante ! alors qui va avoir envie de
regarder ton journal intime ? » Mes photos sont des instants.
Je veux que les gens se posent des questions en regardant mes images,
qu’ils se demandent d’où ça vient. Le titre que je donne à la photo
peut donner des idées. On peut imaginer.
Tu
as choisi comme sujet photographique ton propre corps, souvent dénudé.
Peux-tu m’expliquer ce choix ?
C’est vrai que quand j’ai regardé mon travail, je me suis rendu
compte qu’il y avait beaucoup d’autoportraits nus. Beaucoup de gens
m’ont demandé : pourquoi il faut que tu sois nue ? Aujourd’hui,
je fais moins de photos de nus, je me sens plus tranquille. Avant
je pensais que le nu était érotique, alors que le corps habillé
peut être aussi érotique que le corps dénudé.
Bien
que tu sois le sujet principal de tes photos, on ne ressent pas
de narcissisme à travers tes images. Penses-tu que cela vient de
la distanciation que tu crées avec la poésie et l’humour toujours
présents dans ton travail ?
De temps en temps, des gens trouvent mon travail trop narcissique.
Je le pensais aussi. Un jour, j’ai montré mon travail à une autre
fille et elle m’a dit comprendre mes sentiments et se regarder à
travers mes photos, qu’elle se reconnaissait elle-même parce qu’elle
avait eu les mêmes sentiments que moi. Ce n’était pas seulement
la photo de Mayumi, mais la photo d’elle-même. C’était très sympa,
ça veut dire que mes photos ne sont pas narcissiques.
Est-ce
que ton travail est connu au Japon ?
Non, pas du tout. J’ai juste envoyé quelques photos à des amis.
Et
ta famille ?
Non, pas à ma famille. Ils ne savent pas, je ne leur ai rien
dit. C’est pas le moment. Je veux continuer de travailler. Je fais
moins de photos sur moi, je fais des mises en scène avec les autres,
mes amis. Je veux aussi faire une vidéo. Après, je montrerai à mes
parents. Ce que j’ai fait jusqu’à aujourd’hui, de Acte 1 à Acte
4, c’est comme un nettoyage de mes désirs.
Vis-tu
aujourd’hui de ton travail d’artiste ?
Un peu. Kamel vend mes photos. Le magazine WAD m’a aussi contactée
pour que je leur fasse des photos.
Quels
sont tes projets ? et tes envies… ?
Je continue les autoportraits, mais beaucoup moins qu’avant.
Des photos de mes amis aussi. L’année prochaine, je vais peut-être
aller à l’école des Beaux-Arts de Cergy-Pontoise pour apprendre
la vidéo.
Quel
est le mot que tu préfères en français ?
Liberté.
Propos
recueillis le 15 mars 2002 par Jean-Luc
Bitton
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