L’écrivain
cubain Guillermo Rosales s’est suicidé à Miami en 1993. Il avait
quarante-sept ans. A l’instar de William Figueras, le personnage
de son roman Mon ange, il quitte Cuba en 1979 pour rejoindre
la cohorte des réfugiés cubains sous les palmiers de Floride.
« Je
ne suis pas un exilé politique. Je suis un exilé total. Je me dis
parfois que si j’étais né au Brésil, en Espagne, au Venezuela ou
en Scandinavie, j’aurais fui tout autant leurs rues, leurs ports
et leurs prairies. » A Miami, Guillermo Rosales dérange.
Il
vomit sur ces congénères américanisés devenus des « triomphateurs »,
petits bourgeois prêts à tous les compromis pour accéder au rêve
américain.
Les
cousins de Miami se débarrasseront de cet écrivain qui entend des
voix en le plaçant dans un boarding home, sorte d’asile où les familles
confient en toute discrétion leurs canards boiteux. Guillermo Rosales
ne sortira de cet abîme qu’en 1990 pour se tuer trois années plus
tard. Mon ange, publié à Miami en 1986 décrit de l’intérieur l’horreur
de cet enfermement. Le narrateur raconte sa descente aux enfers
dans un univers hallucinant où d’autres épaves rejetées par tous
tentent de survivre.
On
y croise un directeur véreux qui s’enrichit en détournant les allocations
de ses pensionnaires, un gardien sadique qui frappe et viole impunément,
une vieille dame, bourgeoise déchue, un borgne dont l’œil de verre
suppure, Pepe le vieux qui pisse partout pour se protéger et bien
d’autres, auxquels on s’attache au fil des pages. Au milieu de cette
cour des miracles William Figueras récite des poèmes romantiques
anglais comme ceux de Lord Byron : « Ma vie est
une frondaison jaunâtre où n’existent plus les fruits de l’amour,
la douleur seulement, ce vers qui vous ronge, demeure à mes côtés. ».
Avec l’arrivée à l’asile de Francine, jeune femme fragile à la sensibilité
exacerbée, qui ne cesse de répéter « Oui, mon ange »
quand on la touche, William Figueras reprend espoir, commence à
faire des projets de vie commune. En vain. Alertée par le directeur
corrompu, la famille de Francine viendra mettre fin à cette histoire
d’amour rédemptrice. Il ne reste plus à William Figueras qu’à rejoindre
la cohorte des fous au réfectoire en baissant la tête.
Ce
court roman (127 p.) magnifique, divisera, à sa publication, Cubains
et Américains. Les premiers y verront une critique du fameux american
dream, les seconds un pamphlet anti-castriste. La disparition tragique
de Guillermo Rosales apparaît comme un triste et magistral pied
de nez à ses détracteurs.
Mon
ange
Guillermo Rosales
Actes Sud
12,90 €
Jean-Luc
Bitton
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