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" Dans
les lettres que je reçois d’elle,
ce qui me touche le plus…
c’est le post-scriptum "
- Breton - |
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Il paraît que... |
Rigaut,
le Rimbaud de la littérature
Les
éditions Cent Pages font œuvre salutaire en rééditant des extraits
des textes de l’écrivain dadaïste Jacques Rigaut. Soixante
quinze pages éclatantes de fragments et d’aphorismes de celui qui
se définissait comme « l’aventureman suicidé » jusqu’à
créer « L’agence générale du suicide », une société
reconnue d’utilité publique au capital de 5 000 000 francs, qui
offrait aux indigents le suicide à 5 fr. par pendaison. L’administrateur
principal de l’AGS, Rigaut lui-même, mit fin à ses jours à l’âge
de trente ans le 6 novembre 1929 en se tirant une balle dans le
cœur. Son ami Pierre Drieu la Rochelle en fera un personnage
de fiction appelé Gonzague. L’auteur de Gilles s’est largement
inspiré des propos et de la vie de Rigaut. Gonzague est «dans
les drogues(…) très compliqué (…) était partout et nulle part.
Il restait en dehors de tout. » Rigaut n’en voudra pas
à Drieu de ce portrait caricatural. Un portrait malgré tout émouvant
tant on lit entre les lignes le désarroi de Drieu devant cet ami
qui le fascine mais qu’il n’arrive pas à saisir. Depuis le début,
Rigaut se sait condamné : « Lorsque je me réveille,
c’est malgré moi. » Même si à l’instar de Rimbaud, il tournera
le dos à la chose littéraire, il continuera pourtant d’écrire
sur des feuilles volantes, des phrases fulgurantes, semblables à
des flèches qui ne ratent jamais leur cible. « Chacune
de ses phrases brûle à vif, saigne. » écrira le critique
Gabriel Pomerand. « Il y a des gens qui font de l’argent, d’autres
de la neurasthénie, d’autres des enfants. Il y a ceux qui font de
l’esprit. Il y a ceux qui font l’amour, ceux qui font pitié. Depuis
le temps que je cherche à faire quelque chose ! Il n’y a rien
à y faire : il n’y a rien à faire(…) Il n’y a rien à
faire. Vous pouvez compter sur moi. Je m’en charge. (…) Danger :
se fatiguer de réussir. (…) Ceux qui disent : J’ai bien
fait, j’ai mal fait… Tout de même, qu’est-ce que vous avez jamais
fait ? » (Jacques Rigaut)
Le
jour se lève ça vous apprendra de Jacques Rigaut, éditions Cent
Pages, 2003. 9 €
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Il
paraît que…
Il
paraît que les cailloux possèdent un pouvoir hypnotique qui leur
permet de se déplacer : quand un caillou veut changer d’endroit,
il attend que quelqu’un passe, il l’hypnotise, le passant le ramasse
et l’emporte ailleurs. »
Je
ne suis pas un forcené des services de presse littéraires. Dieu
m’en garde, je ne suis pas assez VIC (very important critic) pour
recevoir cinquante livres par semaine. Qu’en ferais-je ? D’ailleurs,
qu’en font-ils ? Il paraît que des critiques littéraires revendent
aux bouquinistes les livres que leur envoient en service de presse
les maisons d’édition. Il paraît que certains arrivent à se faire
chaque mois quelques milliers d’euros de bénéfice avec ces reventes.
Il paraît… C’est le titre d’un petit livre que m’ont envoyé les
éditions Cent Pages. On n’est jamais déçu avec cette iconoclaste
maison d’édition grenobloise qui déjà avait eu le bon goût
de rééditer A bas la critique de Raymond Cousse. On se souvient
également du vibrant J’emmerde Le Monde, un (premier) discrédit
jeté alors sur le célèbre quotidien du soir, rédigé par Olivier
Gadet, directeur de la maison d’édition. L’auteur Goria nous propose
aujourd’hui quatre cent quarante « il paraît » inspirés
d’informations parues dans la presse ou entendus à la radio qui
se transforment sous sa plume en nouvelles de une à quatre lignes.
Une sorte de réécritures des dépêches de l’AFP à la manière du I
remember (Je me souviens) de l’américain Joe Brainard qui fut
l’inventeur de la formule magique avant Georges Perec. « Je
me souviens qu’il m’arrivait de rester trop longtemps dans la baignoire
et d’avoir les doigts et les orteils tout ridés. » (J.
Brainard) Ce procédé littéraire répétitif et inépuisable révèle
avec ces « il paraît » toute l’amplitude du flot d’informations
auxquelles nous sommes quotidiennement confrontés. Il révèle aussi
la poésie drolatique de ces micro-évènements jusqu’à les transformer
en véritables haïkus : « Il paraît que les flamants
roses sont roses car ils mangent beaucoup de crevettes. »
Il
paraît de Goria, éditions Cent pages, 2004. 10 €
A bas la critique ! de Raymond Cousse, éditions Cent Pages,
2003. 10 €
J’emmerde Le Monde de Olivier Gader, éditions Cent Pages,
2002. 2 €
I remember (Je me souviens) de Joe Brainard, Babel poche,
2001. 7 €
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Gus
Bofa ou le portraitiste de l’ombre
Gus
Boga gagne à être connu. Illustrateur singulier et solitaire de
l’entre-deux-guerres, son œuvre resurgit peu à peu au fil des rééditions.
Gus doit beaucoup à Emmanuel Pollaud-Dulian qui se penche sur son
cas depuis quelques années. L’aboutissement de ce travail de recherches
devrait prochainement aboutir à une passionnante biographie. Les
éditions Cornélius avaient déjà réédité de Gus Bofa Malaises
et Slogans. Le dernier ouvrage s’intitule Synthèses littéraires
et extra-littéraires, une très belle promenade en quarante vignettes
colorées dans l’univers de quarante écrivains, de Maupassant à Marcel
Schwob. Le tour de force de Bofa étant de retranscrire en une image
ses impressions de lecture d’un auteur. Une critique littéraire
on ne peut plus concise d’où le titre de l’ouvrage. Né en 1883,
mort en 1968, l’homme était contre les règlements et les conformismes
d’où qu’ils viennent. Sa devise tenait en deux lignes : «
Ne remets pas à demain ce que tu peux faire après-demain – ou jamais
si ça t’ennuie ».
Synthèses
littéraires et extra-littéraires de Gus Bofa, préface de Emmanuel
Pollaud-Dulian, éditions Cornélius, 2003. 22
€
Pour
contempler les sombres et magnifiques dessins de Gus Bofa, une seule
adresse sur le web : http://www.gusbofa.com
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Céline
tel qu’en lui-même
Emile
Brami vend des livres de Céline. Sa librairie presque intégralement
consacrée à l’auteur du Voyage est un des hauts lieux de
la Célinie. « Je ne suis pas assez méchant pour me donner
en exemple… » Le sous-titre de sa biographie de Céline
donne le ton. Le livre commence par un enterrement à Meudon, celui
du docteur Destouches alias Louis-Ferdinand Céline. Lucien Rebatet
qui était là ce 1er juillet 1961 raconte : «
Nous n’étions pas trente pour l’accompagner au cimetière. Le curé
de la paroisse lui avait refusé son eau bénite. Tous les honneurs !
Il pleuvait. » Brami remonte les années céliniennes à rebours,
de l’enterrement en catimini jusqu’à la naissance à Courbevoie le
27 mai 1894. Entre les deux, une existence racontée, par l’œuvre,
la correspondance et les lecteurs. Une vie reconstituée à partir
de témoignages et de textes rares ou inédits. On y découvre un Céline
aussi pitoyable que magnifique. « Le genre humain n’est
pas son genre » écrit Brami. Une jolie formule pour résumer
un flamboyant misanthrope qui soignait les pauvres, aimait les animaux
et les danseuses aux nuques gracieuses. Un pessimiste lucide pour
qui « le prolétariat héroïque égalitaire n’existe pas. (…)
Il n’y a que des exploiteurs et des exploités, et chaque exploité
ne demande qu’à devenir exploiteur. (…) Le prolétaire est un bourgeois
qui n’a pas réussi. Rien de plus. Rien de moins. »
Brami revient longuement sur les œuvres maudites de Céline comme
L’école des cadavres et Bagatelles pour un massacre,
deux livres interdits de réédition. La logorrhée antisémite de Céline
n’est que le reflet d’une époque où l’antisémitisme est de bon ton.
Au sujet de Bagatelles, Céline écrit à Marie Canavaggia :
« Je n’ai point dans ce livre d’autre force que d’être
à l’ultime désagréable. (…) Je me fous cosmiquement d’être impartial
ou même scrupuleux… Je suis en guerre contre tous. » Une
déclaration de guerre qu’on a trop souvent écarté de l’œuvre célinienne
comme un coup de folie de la part de son auteur. Brami propose au
lecteur l’analyse de Pol Vandromme qui explique que « c’est
un jeu ridicule que de vouloir sauver une partie de l’œuvre de Céline
en l’utilisant contre l’autre partie. (…) Tous les livres d’un grand
écrivain comptent : ce sont les maillons d’une chaîne. Briser
la chaîne, c’est briser le charme. » Laissons le dernier
mot à l’accusé Céline : « Si jamais je m’en sors,
je m’installerai dans une vitrine de la salle des pas-perdus de
la gare Saint-Lazare, avec un écriteau disant siplement : ‘Le
Con’ ! »
Céline
de Emile Brami, éditions Ecriture, 2003. 23 €
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Jean-Luc Bitton
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P.S. :
Le site consacré à l’écrivain Emmanuel Bove a été entièrement « revisité ».
Remerciements
chaleureux et ma gratitude à Emmanuelle Rebato qui s’est chargée
avec brio de cette refonte. http://www.emmanuel-bove.net
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