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Mexique
- Livre IV
du 11 janvier au 13 mars 1998 |
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photo
Jean Luc Bitton |
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Oaxaca |
Le
12 janvier 98
" San Cristobal de las Casas, cest un endroit où
confluent folklore, monuments coloniaux et musées. Dans
cette ville, on trouve une atmosphère pacifique et accueillante.
La vie passe comme un fleuve tranquille." (Extrait dune
brochure du Secrétariat du Tourisme de lÉtat
du Chiapas)
Le 14 janvier 98
Des manifestations ont eu lieu dans tout le Mexique. Des policiers
ont tiré à Ocosingo au Chiapas : une femme est
morte, plusieurs blessés. Malgré toute cette pression,
Marcos conserve son humour et signe son dernier communiqué
: Subcomandante Insurgente Marcos alias Speedy Gonzalez. Ce
type est décidément incroyable.
Le 15 janvier 98
vons goûté hier soir à la délicieuse
cuisine dOaxaca, en compagnie de Claudia, une argentine
très sympathique, qui nous a offert en guise de pousse-café,
du posh, cette boisson alcoolisée que boivent les Tzotziles
de San Juan Chamula, lors des fêtes religieuses. Une boisson
plus douce que le mezcal, avec une saveur de fleurs. Départ
pour San Cristobal ce soir. |
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San
Cristobal de las Casas |
Le
17 janvier 98
Rencontre de Florian qui voyage depuis quatre mois à
travers lAmérique centrale, tout en filmant avec
sa camera vidéo HI 8 le monde Maya. Il se plaint également
de la faune militante stalinienne de San Cristobal : " Marcos
a pété, panique, lodeur nous est encore
inconnue."
Le 19 janvier 98
Une
grippe intestinale nous a cloués au lit. Besoin de
soleil et de plage. Prévoyons de quitter demain soir
San Cristobal pour le Yucatán : Merida, le golfe du
Mexique, etc. Envie de voyager léger, je laisse ici
lordinateur et le plus gros des bagages.
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Merida |
Le
20 janvier 98
Après
une journée de bus, sommes arrivés à
Merida, capitale du Yucatán. Voyager de jour nous a
permis dadmirer les sublimes paysages des hauteurs du
Chiapas : montagnes recouvertes dune dense végétation
tropicale de laquelle émergent les toitures des villages
indiens. Frustration de ne pas pouvoir sarrêter.
Je me sens comme dans un aquarium. Promesse de revenir. Nous
logeons à lhôtel Sevilla qui semble avoir
été laissé à labandon depuis
lépoque coloniale. Acheté trois hamacs
et un Panama...Il fait chaud. Les femmes yucatèques
sont belles. Regards intenses. Du sang maya : yeux en amande.
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Progreso |
Le
22 janvier 98
Avons passé la journée à la recherche dOlga,
rencontrée il y a trois ans ici. La postière nous
affirme quelle vit toujours à Chuburna, petit village
de pêcheurs au bord de locéan, à quelques
kilomètres de Progreso. A Chuburna, nous trouvons la
maison dOlga, déserte. Nous discutons avec deux
pêcheurs, Francisco et Alfonso, qui la connaissent et
nous disent quOlga vit maintenant à Chicxculub,
au Sud de Progreso. Nous allons sur place, en vain. Avons mangé
à Chuburna de délicieux empanadas de crevettes,
arrosés de bière glacée. Chuburna vit au
ralenti, ensablée dans les dunes, locéan
est calme, plages à perte de vue. Les gens sont amicaux,
ils nous saluent en souriant. Demain, nous poursuivrons nos
recherches.
Le 23 janvier 98
Vingt-et-une heure, dans la chambre dhôtel en béton,
éclairée au néon (léclairage
le plus populaire au Mexique), le ventilateur qui vrombit au-dessus
de nos têtes, nous attendons Olga qui nous a laissé
un message cet après-midi. Avons croisé dans la
ville, nos deux sympathiques pêcheurs, leurs sourires
chaleureux nous apportent un peu de réconfort dans un
Mexique, où jusquà maintenant, seuls les
Indiens nous ont abordé avec humanité.
Le 26 janvier 98
Nous rendons visite chaque jour à Olga, dont la maison
se trouve à lextrémité de la jetée
de Progreso. Entre deux cours de français pour des enfants
de riches Mexicains ("la caste divine"), elle passe son
temps dans le vaste jardin tropical qui se trouve à larrière
de sa maison. Elle réalise également de magnifiques
figurines et colliers avec des coquillages ramassés au
fil des années sur la grève. Dorigine polonaise,
Olga est arrivée au Mexique, il y a plus de vingt ans,
après avoir quitté sa famille et son travail de
rédactrice pour Paul Robert, linventeur du Petit
Robert. Comme tous les exilés des tropiques, elle souffre
de la solitude. Nous lécoutons parler des heures,
sans pouvoir placer un seul mot. Avons visité la maison
de Francisco et Alfonso, les deux frères pêcheurs
de Chuburna. Trois pièces au sol carrelé bleu
azur. Sur un mur est accroché un hamac. Le mobilier se
limite à deux chaises. Sous lévier, un carton
où se trouvent rangés quelques vêtements
de rechange et ceux pour les grandes occasions. Cest tout.
Un tel dépouillement est intimidant, nous osons à
peine nous asseoir sur les chaises. Je souris intérieurement
en pensant à tous ces décorateurs qui séchinent
à concevoir des intérieurs dans la mouvance actuelle
dont les concepts sont basés sur la simplicité
et la sobriété. Quils fassent un détour
par Chuburna pour expérimenter le vivre Zen. |
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Merida |
Le
28 janvier 98
Avons quitté Progreso, sans regrets. Retrouvons la grande
ville et ses plaisirs..
Le
29 janvier 98
Visite
de Chichen Itza, important site Maya situé à
quelques heures de Merida. Des touristes de toute nationalité
parcourent le site, camescope au poing, filmant le moindre
détail. Je grimpe en haut de la principale pyramide
El Castillo, mais également à lintérieur
de lédifice, par une sorte de tunnel escalier
qui débouche sur un sanctuaire. Le coeur battant à
cause de leffort, jessaie de retrouver ma respiration,
sans succès. Aucune aération, je me sens de
plus en plus oppressé. Je réussis à enrayer
la panique qui menvahit en contemplant le trône
en forme de jaguar aux yeux sertis de jade, qui se trouve
dans le sanctuaire. Je ne mattarde pas et entame une
délicate descente dans lescalier glissant dhumidité.
Certains sont restés en bas, rebroussant chemin devant
la claustrophobie et le vertige que procurent cette ascension
in vitro. Je suis fasciné par la finesse des bas-reliefs
sculptés sur les murs et colonnes des temples. Sur
certains, on peut encore voir le pigment rouge qui teintait
les pierres de Chichen Itza. Avec le vert de la jungle qui
lentoure, la vision de cette cité Maya devait
être frappante. Nous partons demain pour Playa del Carmen,
retour à la case départ. Envie de farniente
au bord du bleu Klein de la mer des Caraïbes. Tout voyageur
au Mexique viendra sy reposer, malgré la cherté
de lendroit et linvasion touristique. Notre budget
qui est déjà mal en point, va en prendre un
sérieux coup. Notre retour se fera peut-être
plus tôt que prévu. Espérons que les beaux
jours seront précoces sous nos latitudes... Vu dans
la Jornada dhier une photo de chômeurs manifestant
dans les rues de Paris, sur les pancartes était inscrit
: " chômage ya basta! "
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Playa
del Carmen |
Le
2 février 98
Beaucoup
de gringos dans les rues de Playa, nous sommes en haute saison,
une chambre dhôtel se négocie entre 50
et 100 $ US la nuit. La solution est de louer une chambre
en ville au mois, ce qui revient à 180 $ US. Nous avons
choisi cette option... En définitive, les Caraïbes
resteront pour nous lendroit le plus économique
de notre périple, hormis laccès au Net
qui ici est scandaleusement cher : 1$ US la minute ! Les disquette
sont bien sûr prohibées... Nous mangeons tous
les soirs au restaurant El Correo où pour quelques
pesos on sert de savoureux et copieux antojitos. El Correo
se trouve sur la Calle 1 entre la 15 et la 20. Téléphoné
au Chiapas, il pleut et fait froid. La situation névolue
guère. Comme de coutume, le gouvernement mexicain promet
beaucoup, mais agit peu. Marcos, à juste raison, attend
de voir avant de signer quoi que ce soit. Lecture du livre
de Nicolas Arraitz : Tendre venin, de quelques rencontres
dans les montagnes du Chiapas et du Guerrero.
En quatrième de couverture, on trouve un extrait de
la Déclaration de principes de lEZLN : " Il
faut une certaine dose de tendresse pour se mettre à
marcher malgré tout ce qui sy oppose, pour se
réveiller après une si longue nuit. (...) Il
faut une certaine dose de tendresse pour virer tous ces fils
de pute qui traînent par ici. Mais parfois il ne suffit
pas dune certaine dose de tendresse, il faut y ajouter...une
certaine dose de plomb. "
Le
5 février 98
"
Notre civilisation est malade. Il ny a pas que lexploitation
et la misère matérielle, Marcelo, il y a la
misère spirituelle. Et je suis parfaitement sûr
que tu es daccord avec moi là-dessus. Il ne sagit
pas dobtenir que tout le monde ait un frigo. Il sagit
de créer un être qui soit humain pour de bon.
" (Ernesto Sabato, Lange des ténèbres)
Le
6 février 98
"
Il se perdait en chemin, comme si, loin de vouloir arriver
quelque part, la seule chose qui comptât pour lui était
de profiter des simples beautés du projet. " (Ernesto
Sabato, ibid)
Le
9 février 98
Devant
moi les eaux bleu-turquoise de la mer des Caraïbes, la
plage est déserte, le gros des touristes est deux kilomètres
plus loin, fidèle à linstinct grégaire
de lêtre humain. Depuis deux heures, un pêcheur
ne cesse de ramener des poissons à laide dun
simple bout de bois avec du fil enroulé autour. Scène
biblique. Entraperçu hier en plongée une
raie géante et des poissons multicolores. Ciel bleu
limpide avec ces gros cumulus quon retrouve à
lhorizon de toutes les mers tropicales. En fond sonore,
la musique arabo-andalouse de Macama Jonda, cassette achetée
à Séville, lors dun périple en
Andalousie. Livresse et la joie du flamenco et de la
musique arabe, jusquaux larmes. Je me laisse brûler
par le soleil.
Le
10 février 98
Dans
le Nord du Mexique, comme au Pérou, en Équateur
ou en Argentine, les inondations succèdent aux pluies
diluviennes. En Afghanistan, tremblement de terre, 4000 morts.
Pour linstant, nous sommes épargnés. Ce
nest que le début, nous affirment certains Cassandre
qui prédisent en cette fin de siècle et changement
de millénaire, guerres et catastrophes naturelles.
Le
14 février 98
Une
dent de cassée, pas de chance, une de devant.
Le
17 février 98
Todo
o nada titrait en gros caractères le journal de ce
matin. Tout ou rien : lEZLN naccepte pas les modifications
que le gouvernement mexicain aimerait imposer aux accords
de San Andrès concernant lautonomie indigène.
Quatre mille Indiens sympathisants zapatistes ont défilé
hier dans les rues de San Cristobal pour exiger des autorités
lapplication de ces accords signés il y a deux
ans. Une centaine dobservateurs étrangers européens
sont arrivés au Chiapas. Cette "ingérence" ne
plaît pas à tout le monde. Certains médias
(journaux, télés,etc.) ont entamé une
véritable campagne de xénophobie. En 1997, deux
cents étrangers ont été expulsés
du Mexique, pour "activités politiques". Jai
hâte de repartir pour San Cristobal, lambiance
superficielle de Playa del Carmen commence à me peser.
La chambre est une fournaise, le ventilateur à sa vitesse
maximum ne fait que brasser lair chaud et humide. Jaimerais
pouvoir dormir dans le hamac où lon ne transpire
pas grâce aux mailles aérées. Reçu
un e-mail de Pierre, dans lequel il mannonce la réception
dun fax de Carmen Castillo, réalisatrice chilienne
dun très beau documentaire sur Marcos, qui a
été diffusé sur ARTE. Elle sera au Chiapas
début avril. Faute de moyens financiers, je serai peut-être
déjà rentré.
Le
19 février 98
Rencontre
dEmmanuelle et Sandrina. La première fait du
courtage en tout genre, la seconde est mannequin. Elles vivent
ensemble, à Paris. Les dragueurs de la plage ne semblent
pas sapercevoir quelles sont gay. Même Brahim,
joueur de volley, apprenti comédien et banlieusard
parisien se fait duper. Discussion surréaliste.
Ce soir, notre propriétaire avait invité quelques
musiciens : deux guitares, une contrebasse, des calebasses.
Ils chanteront jusquau petit matin, avec ce rythme nostalgique
propre à la musique mexicaine. Jécoute
en contemplant le ciel étoilé, je me sens un
peu réconcilié. Au Chiapas, la chasse à
létranger est ouverte.
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Palenque |
Le
27 février 98
Les
ruines Mayas de Palenque. Après une nuit blanche dans
un bus, nous les découvrons dans les brumes matinales,
joyau endormi depuis des siècles dans la forêt
tropicale qui semble vouloir conserver ce trésor en
senroulant autour des pierres, jusquà les
éclater. Ce site dépasse en beauté tous
les autres du Mexique. Baignade dans les cascades bleutées
dAgua Azul.
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San
Cristobal de las Casas |
Le
28 février 98
Le trajet entre Palenque et San Cristobal est inoubliable. Temps
merveilleux. La forêt est tachée de couleurs des
éclosions des fleurs tropicales. Je dévore des
yeux le paysage, Heureux de retrouver le Chiapas et les amis.
Lambiance politique se durcit. Le gouvernement menace
dattaquer les bases zapatistes, en faisant croire que
Marcos ne veut pas négocier. Mais comment négocier
avec un gouvernement qui ne respecte pas des accords signés
il y a deux ans ? Autre signe de durcissement : lexpulsion
en 24 heures du Père Chantau, dorigine française
qui vivait depuis 32 ans au Mexique et soccupait de la
paroisse de Chenahlo. On ne lui même pas laissé
le temps de prendre ses affaires. Le consulat de France na
pas bougé. Motif de lexpulsion : activités
politiques. Au Mexique, dire la vérité est considéré
comme une action politique
Le 1er mars 98
Visite du village indien San Andrès. La fumée
de lencens dans léglise, les miroirs sur
les représentations religieuses où celui qui prie
peut lire sur ses lèvres la réponse à sa
prière. Hommes titubant sur la route. Le regard effrayé
des Indiens.
Le 3 mars 98
Plan
de "réconciliation" proposé par le nouveau gouverneur
du Chiapas.
Le 6 mars 98
Le printemps mexicain est arrivé, il fait un temps
magnifique qui nous ferait presque oublier la tension qui
règne dans la ville. Une rumeur : des milliers de zapatistes
auraient, après lexpulsion du Padre français,
investi de nuit les rues de San Cristobal, puis seraient repartis
sans bruit. Sorte davertissement au gouvernement. Avons
été contrôlés, au retour dun
voyage dans les Altos, par des agents de limmigration.
Les expulsions des étrangers continuent.
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Montréal |
Le
13 mars 98
Les
rues de Montréal ne mont jamais paru aussi froides
et tristes quaujourdhui. Séparation. Jaurais
aimé éviter cette tristesse. Elle sest
fait une nouvelle tête : coupe de cheveux très
courte. Plus belle que jamais.
"
Jusque-là, jaime mieux croire que cela ira mieux
comme vous voulez bien me le faire croire; si stupide que
soit son existence, lhomme sy rattache toujours.
Excusez-moi du dérangement, je vous remercie, je vous
souhaite bonne chance et bonne santé. Écrivez-moi.
Bien à vous. " (Rimbaud à sa soeur Isabelle,
le 10 juillet 1891)
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