Sommaire
- chroniques
- Livre de bord
- livre 1
- livre 2
- livre 3
- livre 4
- Petite Bibliothèque Nomade
 
Mexique - Livre I
du 1er au 17 décembre 1997

[ Livre de bord ] [ Livre II ]

Tulum
Le 1er decembre 97

Rien à noter, sinon que je suis heureux d'être là...L'ordinateur semble fonctionner, malgré la chaleur et l'humidité. Je ressens comme une impatience de vivre. Le propriétaire des cabanas me parle de la Coupe du monde de football qui doit se dérouler l'été prochain à Paris. Je me laisse poser cette auréole sportive, et puis ça tombe bien, je ne m'intéresse à ce sport qu'au moment de cette fameuse Coupe du monde. Il faudrait parler du chauffeur de taxi qui nous a emmenés à l'aéroport, mais je suis branché sur les batteries. Je vais finir par faire des haïkus...

haut
Le 2 décembre 97

Ce matin, un vent fort fait plier les palmiers. Gros nuages à l'horizon. El Nino ferait-il des siennes? Baignade : la mer ressemble à un immense jacuzzi. La tempête nous force à nous retirer dans notre bungalow en béton. Une percée de soleil dans l'après-midi et nous nous précipitons sur la plage pour nous adonner à l'activité principale du lieu : le bronzage. Quelques dizaines de minutes d'exposition au soleil des Caraïbes, doivent équivaloir à dix séances d'uv. Peu de monde, la saison touristique commence à peine. De-ci, de-là, nous croisons quelques couples silencieux, au teint plus ou moins halé, selon la durée de leur séjour. Les regards sont ceux de rescapés. La solitude quasi ontologique qui règne habituellement dans un couple, se ressent ici avec encore plus d'acuité. La nourriture en voyage prend une place primordiale. Je m'en aperçois en lisant le récit de voyage à motocyclette en Amérique latine de Che Guevara. À chaque page, ou presque, le Che décrit avec force détails ses repas : d'énormes grillades arrosées de vin rouge à volonté. De ce côté là, nous ne sommes pas gâtés, le propriétaire des lieux prépare une cuisine assez médiocre et qu'on pourrait qualifier de "nouvelle", étant donné le peu qu'on trouve dans les assiettes, le tout à un tarif proche de l'escroquerie. Aucune issue possible ( ce diable de restaurateur doit le savoir...), le plus proche endroit pour s'approvisionner se trouvant à 20 km au moins. A mon avis, à long terme, c'est un mauvais calcul de sa part, toute personne sensée, lassée de ce racket quotidien, quittera forcément les lieux au bout de quelques jours. D'autres les remplaceront bien sûr...

haut
Playa del Carmen
Le 3 décembre 97

"C'est toujours une consolation de savoir qu'il y a des êtres dont le bonheur dépend de vous." (Ernesto Che Guevara)

haut
Le 4 décembre 97

Playa del Carmen a bien changé, il y a un "avant" et un "après" qui n'en finit plus. "Avant", c'était il y a dix ans, Playa n'était qu'un paisible petit village de pêcheurs, qui n'avait pas succombé aux tentations du développement touristique et aux dollars qui l'accompagne. Cet "avant" a duré. En 1994, lors de mon premier séjour, les tentacules de sa voisine Cancun, mégapole touristique, n'avaient pas réussi à l'atteindre. Aujourd'hui, boutiques et hôtels se sont multipliés. L'un de ces hôtels, dans la pire tradition architecturale hollywoodienne, avec ses énormes colonnes roses au style victorien, raye d'une façon définitive le paysage du bord de mer. L'initiateur et géniteur de cet Alien hôtelier est le gouverneur affairiste de l'Etat, qui semble t-il ne s'est pas embarrassé d'un permis de construire. Il reste un espoir, m'a confié mon hôte, l'emplacement où a été construit cette aberration est le premier a être touché lors des cyclones et ouragans.

haut
Le 5 décembre 97

Ce livre de bord n'a pas la prétention d'être un guide de voyage, ce serait trop fastidieux, qui plus est ce qui paraît agréable ou ennuyeux pour l'un, ne l'est pas forcément pour l'autre, mais de temps à autre, je glisserai dans ces chroniques quelques adresses ou conseils pratiques. Pour Playa del Carmen, je recommanderai, à ceux qui voudraient jouer les Robinson, de louer un bungalow Caribenos chez le bordelais et très Français Georges Bache. Pour quelque 210 pesos par jour (25 $ US), vous serez l'heureux locataire d'une traditionnelle et adorable cabanas au toit de palmes et murs de chaux, donnant directement sur la plage et la mer des Caraïbes. Le hamac est fourni, l'eau chaude également. L'endroit porte un nom évocateur : la Posada (pension en espagnol) Corto Maltes. Vous ne pouvez pas le rater, sur les murs de l'entrée est dessinée la silhouette du flegmatique et aventurier marin créé par le regretté Hugo Pratt.

Ceux qui aiment les potins ou la lecture de Voici (que celui qui n'a jamais ouvert ce genre de magazine me jette la première pierre...) ne sont pas sans savoir que, Christine Bravo, la sémillante et ex-animatrice de télévision en France, a passé récemment quelque temps à Playa del Carmen. Profitant de sa relative notoriété de femme de petit écran, elle a commis le méfait d'écrire un pavé de 300 pages (en gros caractères il est vrai) dans lequel elle relate son séjour. Un récit au style insipide où - aux dires des autochtones - la fiction dépasse de très loin la réalité. Par exemple, madame Bravo souligne et insiste dans son texte qu'elle logeait dans une cabanas tout ce qu'il y a de plus rustique : sans électricité, ni eau courante. En fait, l'aventurière parisienne partageait avec ses amis, l'une des plus belles et plus confortables maisons de Playa del Carmen. Un tel mépris pour son public est affligeant... et révélateur.

haut
Le 8 décembre 97

Départ pour Oaxaca : 30 heures de bus. Beaucoup de westerns américains ont été tournés au Mexique, cela explique peut-être qu'aujourd'hui encore, des bus sont attaqués la nuit par des bandits de grand chemin, qui en profitent pour détrousser les passagers, prélevant la dîme au nom d'une révolution quelconque. C'est donc avec un peu d'angoisse que nous entamons ce nouveau périple, sans parler des routes tortueuses de montagne qui mènent à Oaxaca.

haut
Oaxaca
Le 10 décembre 97

Après deux nuits blanches en bus et huit contrôles (police, militaire et immigration) nous voici à Oaxaca, sains et saufs. Avons aperçu, émergeant dans les brumes du petit matin, la ville de San Cristobal de Las Casas à 2100 mètres d'altitude. Avons eu une pensée émue pour le sous-commandant Marcos et ses compagnons, qui dans les montagnes avoisinantes, se battent depuis maintenant quatre ans pour plus de justice, de liberté et de démocratie. Leur cri de révolte, qui a trouvé une résonance universelle, est comme un exemple et une lueur d'espoir pour tous ceux qui à travers le monde refusent de se résigner et de baisser les bras face à ceux pour qui l'inévitable et la fatalité servent d'arguments pour justifier l'inacceptable.

La chambre d'hôtel est froide et sombre comme un caveau. Oaxaca, ville entourée de montagnes. Au milieu du zocalo, place principale, un kiosque où des musiciens jouent un air de rumba un peu triste. La noche triste. Dans quelques jours, j'aurai 38 ans, à cette veille d'anniversaire, je ne me suis jamais aussi senti perdu. J'aimerais tant être comme cette ville : insouciant.

haut
Le 11 décembre 97

Rencontre avec Ariel Mendoza, peintre et photographe, qui nous donne rendez-vous à la galerie d'art du peintre Rodolfo Morales. L'endroit, à ciel ouvert, est magnifique, des mobiles lumineux multicolores en forme d'étoiles sont suspendus au-dessus du patio, les toiles sont accrochées dans les pièces autour, et dans les étages. Les dernières productions de Moralès sont influencées par le style baroque mexicain et l'art brut. Des cadres argentés à l'intérieur desquels se trouvent des collages constitués de dessins aux couleurs vives, de cartes postales, de photographies et d'éléments divers. Chaque collage est une scène naïve, une histoire ou un thème. Morales vient nous saluer, sous une apparence bourrue, on devine un homme chaleureux, son regard est perçant, mais amical. La directrice de la galerie nous invite à son prochain vernissage, le 18 décembre prochain. La galerie se trouve au 105 de la rue Murguia et dispose d'un e-mail : artedeoaxaca@spersaoaxaca.com.mx

Toutes ces rencontres me redonnent espoir et chassent mon humeur cafardeuse d'hier.

haut
Le 13 décembre 97

Aperçu Francisco Toledo, autre célèbre peintre mexicain, au vernissage de sa dernière exposition dont le sujet est les insectes. Des aquarelles aux couleurs ocre et terre de Sienne, à l'image des murs d'Oaxaca, où sont incrustés, comme des fossiles, divers coléoptères. Toledo, le visage buriné, look de péon chic. Le petit monde artistique d'Oaxaca se presse autour de lui. L'ambiance est plutôt guindée, malgré la beauté du site. On se dit des buenas noches d'un air entendu. Un quidam commence a m'abreuver de paroles, puis réalisant que je ne comprends rien à ce qu'il dit, m'abandonne égoïstement à mon triste sort. Beaucoup de visages "pâles", notables du coin, directeurs de galerie et collectionneurs. Ce beau monde se promène avec cette nonchalance suffisante et fausse décontraction, propre au colon ou à son ersatz d'aujourd'hui, qui vit sous les tropiques. La ville d'Oaxaca semble être leur vitrine. Dehors, des fanfares retentissent, des marionnettes géantes se dandinent sur le rythme de la musique, des pétards éclatent, des feux d'artifice illuminent sporadiquement le ciel, les gens de la procession semblent être en transe, les visages, à la lueur des bougies, paraissent grimaçants ou radieux. Mélange de païen et de religieux. L'impression qu'au Mexique, plusieurs mondes se côtoient sans jamais vraiment se rencontrer. La position avilissante du cireur de chaussures. Ai noté l'attitude du ciré, qui change dés que l'autre se baisse devant lui : le buste se redresse, le regard devient indifférent, ou se plonge dans le journal. Malaise.

Avons passé la journée à chercher un logement. Sans succès. Tout est complet ou hors de prix, sinon des pièces en béton sans fenêtres, ni lit... Nous sommes un peu découragés et pensons à quitter Oaxaca. Les hauts de la ville, un quartier populaire accroché à la montagne, sont magnifiques. Pendant plusieurs heures, nous parcourons ses venelles colorées, les habitants sont plus souriants et amicaux que ceux du centre ville. Plus bas, se trouve la basilique de la fameuse vierge de la Solidad, patronne de la ville. La Vierge de la Solitude, de ceux qui n'ont personne avec, que Malcom Lowry cite à maintes reprises dans son mythique roman, Au-dessous du Volcan.

Une épicerie : une vieille tapie dans un fauteuil près du téléphone et de la caisse, une petite Indienne de 10 ans s'occupe de tout dans la boutique. Image de l'exploitation. Je pense à Koltès qui, lorsqu'il se trouvait au Guatemala pour y écrire ses pièces, a dû lui aussi assister à ces scènes d'oppression au quotidien.

haut
Le 15 décembre 97

Grâce à notre ami Enrique, agent et distributeur de plusieurs marques de mezcal de la région, nous avons enfin réussi à trouver une habitation correcte et à un prix raisonnable. Avons donc décidé de rester à Oaxaca. Ai commencé à lire sur le toit de la maison, les oeuvres de Rimbaud dans la Pléiade, ce sera mon principal, mais consistant livre de voyage. Une pensée pour Véronique et Philippe, qui m'ont fait ce superbe cadeau, lors de mon dernier passage à Paris. Antoine Adam qui présente cette édition, écrit dans sa préface que Rimbaud expliquait à Delahaye que nous avons seulement à ouvrir nos sens à la sensation, puis à fixer avec des mots ce qu'ils ont reçu. Notre unique soin, ajoutait-il, doit être de voir, d'entendre et de noter. Et cela, sans choix, sans intervention de l'intelligence. Une belle définition d'une littérature ou poésie, sans artifices, à l'état brut. Je suis heureux d'avoir quitté cette chambre d'hôtel, où chaque nuit le froid et l'humidité nous réveillaient à l'aube. Notre nouvel appartement est un vaste studio sobrement meublé, avec une salle de bains aux carreaux de faïence bleue. L'entrée donne sur un patio fleuri et une petite terrasse. Du toit, nous pouvons contempler le panorama circulaire des montagnes qui entourent Oaxaca. Nous nous trouvons au milieu de cet écrin splendide à 1500 mètres d'altitude. La journée le soleil tape dur, le ciel est bleu et limpide. En revanche, les nuits sont froides comme celles d'un Sahara. Seul le voyageur recherche la morsure du soleil, l'autochtone lui, marche sur le trottoir qui se trouve à l'ombre. Les habitations sont construites également pour se mettre à l'abri de la canicule : des petites pièces sans ouverture ou presque. Grâce peut-être à ses montagnes protectrices, la ville d'Oaxca échappe aux effets néfastes du phénomène climatique de l'année : El Nino. Ailleurs, dans le centre du Mexique, la température a chuté brutalement et, à certains endroits, il a même neigé. Actuellement, la nuit il fait douze degrés, la journée trente. Je dois récupérer ce soir, mon ordinateur, qui se trouve chez Enrique. Il n'existe que deux fournisseurs d'accès à l'Internet à Oaxaca. La société multimédia Terra Nostra au 600 de la rue Morelos, permet d'envoyer ou de recevoir des e-mail : 10 pesos (1,25 $US) par envoi et 5 pesos pour chaque e-mail reçu. On peut même naviguer sur le Net à 45 pesos (5 $US) de l'heure.

haut
Le 16 décembre 97

Jour anniversaire. Désormais, l'appellation quadragénaire me colle à la peau, ou presque. Anecdote en rapport avec la vulnérabilité du voyageur : nous étions en train de faire quelques provisions dans le principal marché couvert de la ville, lorsque Florence me fait remarquer qu'un homme nous suit depuis quelque temps. Effectivement, je le repère tout de suite, il se cache à peine dans sa filature. Nous décidons prudemment de sortir du marché, qui avec ses étroites allées et la complicité de quelques acolytes, peut se transformer en véritable coupe-gorge. L'homme continue à nous suivre dans la rue, je me retourne et le regarde avec insistance, il baisse les yeux, mais poursuit son manège. Nous comprenons qu'il va nous falloir le semer. Nous nous enfonçons dans la foule du zocalo, restons assis quelque temps, puis reprenons notre chemin. En vain, l'homme est toujours derrière nous, la police proche ne semble pas l'intimider. Nous convenons d'une autre stratégie et décidons de l'attendre après avoir bifurqué à un coin de rue. Dès qu'il apparaît, nous traversons la rue pour le rejoindre : le chasseur se retrouve à la place du gibier. L'homme surpris, disparaît alors sous une porte cochère menant à un hôtel. Nous profitons de cette diversion pour nous engouffrer dans le premier taxi, et mettre fin à cette angoissante mésaventure. Ces dernières années, la violence et la criminalité n'ont cessé d'augmenter en Amérique latine, ses habitants manifestent régulièrement pour revendiquer une amélioration de la sécurité publique. Ce sont les plus pauvres qui subissent cette violence, les riches habitant dans des forteresses gardées par des milices privées. Les injustices sociales, la corruption endémique des gouvernants et la fracture croissante entre nantis et démunis, génèrent et nourrissent cette insécurité.

haut
Le 17 décembre 97

Assisté hier soir à la fête en l'honneur de la Vierge de la Solidad. Tout autour de la basilique, des petites échoppes serrées les unes contre les autres, véritables guirlandes lumineuses, où pour quelques pesos, on peut se restaurer de tacos, de quesadillas fourrés au quesillo, le délicieux fromage coulant d'Oaxaca. D'autres stands proposent d'innombrables pâtisseries, la crème anglaise et la meringue dominent dans ce paradis sucré. Sur le parvis de la basilique, la fête a commencé. La foule fait un cercle, dans lequel des enfants et quelques hommes à la démarche chancelante, se disputent un taureau de bois où sont accrochés des feux d'artifices. Le jeu est de porter le taureau sur sa tête et d'effectuer une parodie de corrida, tandis que les feux se déclenchent tout autour de la structure en bois. Le spectacle est impressionnant : les naseaux de l'animal crachent le feu, sur ses flancs tournoient des masses d'étincelles colorées, la queue enluminée virevolte également. L'homme ou l'enfant qui porte le taureau embrasé, mime la démarche combattante de l'animal, au rythme des feux qui éclatent, frôlant la foule qui recule en criant. Les sifflements et explosions sont assourdissants, une odeur de poudre brûlée nous envahit. Des fusées parfois rebondissent sur les murs de la basilique, puis encore enflammées retombent dans l'assistance. Nous nous jetons à terre pour les éviter. Le jeu est dangereux, mais excitant. Derrière un mur, des flammes s'élèvent, la cour d'une maison est en train de brûler. Le sinistre est vite stoppé. La fête peut reprendre son cours. Le clou du spectacle est une reproduction géante de la Vierge de la Solitude, qui s'enflamme graduellement. À la place des bras, des entrelacs d'étincelles ne cessent de tournoyer, du thorax un cercle de coeurs rouges sort en tournant lentement, la couronne posée sur la tête s'enflamme à son tour, une croix jaune incandescent illumine le ciel, en apothéose une auréole blanche s'élève lentement droit dans le ciel. La foule émerveillée retient son souffle jusqu'à la dernière étincelle, puis les applaudissements arrivent et déferlent comme une vague contre les hauts murs de la basilique. Un couple de chouettes, dérangé par la lumière et le bruit, s'envole de leur niche de pierre. Leur blancheur se détache sur la noirceur du ciel. Je n'avais jamais vu un feu d'artifices, malgré la modestie des moyens utilisés, avec autant d'ingéniosité et de poésie.

haut
[ Livre de bord ] [ Livre II ]
   

Informations et commentaires à infos@chroniques-nomades.net
Copyright 1997-2003 - Chroniques Nomades