Pierre
Bourdieu disparaît par une journée ordinaire de janvier.
Comme un fait exprès.
Un peu avant le sommet de Porto Alegre.
Symposium de l’anti-globalisation économique.
Sept années d’engagement public.
Sept années de réflexion et de discussion qui n’ont pas laissé indifférent.
D’accord ou pas d’accord, le débat est engagé.
Débat
sur une époque où la télévision domine.
Où elle règne en maîtresse sur l’évolution " des choses
planétaires ".
" Et,
de fil en aiguille, la télévision qui prétend être un instrument
d’enregistrement, devient instrument de création de réalité. "
(Pierre Bourdieu)
Centaines
de millions de fenêtres ouvertes sans restriction sur tous les faits
et gestes d’un monde en pleine ébullition.
11septembre 2001 - Deux tours jumelles, monument emblématique de
la finance mondiale sont absorbées par le sol-bitume après une attaque
simultanée d’avions suicide.
Plans fixes de deux torches brûlant pendant plusieurs dizaines de
minutes.
Écroulement successif dans un épais nuage de poussières et de débris,
paravent à leurs déchéances.
Schizophrénie
(télé)visuelle, palpable et lointaine s’approprie l’attention du
téléspectateur incrédule.
Hésitation entre « La tour infernale » et l’attaque de
Pearl Harbor.
Dans le magma incandescent des poutrelles d’acier enchevêtrées,
il cherche sa télécommande pour dissiper son malaise de son incompréhension.
L’horreur est dans l’abstrait. La violence dans les images.
“ Le
monde de Harlem et le monde plus au sud restent ainsi distants et
distincts, éloignés l’un de l’autre et bien dissociés ; un
trajet de huit minutes seulement en métro d’un monde à l’autre,
du cœur de Manhattan à Harlem, mais néanmoins ce sont des mondes
à part, au point que c’est à peine s’ils peuvent s’effleurer ”
[ Eddy L. Harris – Harlem ]
Dans
une répétition, toutes les chaînes diffusent en boucle ces images-apocalypse.
Les tours s’écroulent dans un mouvement perpétuel.
La touche « replay » des lecteurs vidéo est sous pression.
L’image devient pensée. Elle est un appel à l’imaginaire collectif.
Les frontières du réel et de la fiction se dissolvent dans un espace
unique virtuel.
Un espace monosyllabique sans perspective.
Ecran mémoire de notre vie vécue par procuration.
" Au
début, il y avait l’Histoire puis l’Histoire devint légende, pour
finalement se transformer en mythe " [ Le Seigneur des
Anneaux ]
La
chute est réelle. Les conséquences invisibles.
Les victimes ne sont jamais apparues sur le devant de la scène.
Promues héros anonymes d’une guerre « asymétrique »,
elles sont, elles étaient, elles furent…
Une
guerre de l’invisible a débutée.
L’information se transforme progressivement en communication-propagande
tout azimut.
La télévision, espace majeur de toutes confrontations, charrie dans
un flot incessant ses certitudes, ses rumeurs, ses critiques, ses
jugements…
Elle édifie un espace éphémère où se dessine par touche une réalité
réduite à des impressions.
Montages « cut » d’images tournoyantes qui suffirent pour
désigner des ennemis virtuels.
L’année
2002 vivra dans l’ombre de 2001.
" Pour
l’heure, New-York vit entouré des particules de ses morts et de
ses tours, impalpables comme les songes, peuplé d’un invisible cimetière. "
[ Yves Simon – novembre 2001 ]
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