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Carnets
sur la route d'Asie |
[7]
Indochine |
par
Nicolas
Lenoir |
Au
Vietnam pour dire non, on lève la main droite
légèrement à hauteur de la tête
et on la tourne de gauche à droite.
Pour conclure mon enquête sur les traces de la
présence française en Asie, après
Pondichéry, le Cambodge et le Laos, me voici
enfin au Vietnam, le joyau des colonies. 30 ans de guerre,
25 ans de régime communiste, allai-je trouver
un pays marqué et dévasté par la
guerre comme le Cambodge, ou un pays coupé du
monde et hors du temps comme la Birmanie ?
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Le VietNam du Sud est très différent du
Vietnam du Nord. Au sud, le pays diffère peu
des autres pays du Sud-Est asiatique : Thaïlande,
Laos et Cambodge : températures, paysages, comportements
sont assez similaires. Par contre au Nord, c'est l'influence
chinoise, les habitants y sont plus réservés,
le climat plus frais, les paysages plus montagneux.
Le conflit qui dura plus de 30 ans a exacerbé
cette différence entre le Nord Communiste et
le sud alors " capitaliste ". Par
contre, ce qui est commun au Vietnam, du Nord au Sud
cest la présence des rizières magnifiques
dont le vert est éclatant. Du delta du Mékong
à la Baie dAlong le trait dunion
cest la culture du riz.
Je ny ai vu dailleurs quasiment que des
femmes y travailler. Les pieds dans leau, léchine
courbée, la tête protégée
par leurs grands chapeaux en Bambous, elles plantent,
sèment, irriguent manuellement à laide
de seaux et récoltent ce riz si précieux.
Dans les campagnes, on ne voit pas encore comme ailleurs
en Asie des bâtiments très laids recouverts
de tôles ondulées mais de jolis toits en
tuile rouge comme dans les campagnes françaises
du Sud-Ouest, cest un des rares legs qui restent
de la présence française.Une autre constante
cest la faculté quont les Vietnamiens
à répondre "yes" à toutes les questions
que je leur pose, ce qui part dune bonne intention
mais ce qui nest pas toujours facile à
gérer. Ainsi quand ils ne comprennent pas la
question, quand ils ne savent pas y répondre
pour ne pas perdre la face ou pour ne pas décevoir,
ils répondent toujours "yes".
La nourriture a la réputation dêtre
raffinée, sans doute trop pour moi qui ai eu
quelques difficultés à avaler ma soupe
à lutérus de porc et ai refuse tout
net de goûter aux testicules de poulet. Sur le
marché de Sapa, jai également vu
un chien roti et laqué, la gorge tranchée,
étalé sur un présentoir. Cest
un met très recherché et cher (ce dont
je ne suis pas fâché, ainsi on ne me le
servira pas en remplacement du porc bon marche).
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Saigon est une ville fascinante en pleine mutation,
vivante, bien ancrée dans ce nouveau siècle
et non dépourvue de charmes. Certes, les nostalgiques
de lIndochine française risquent dy
être déçus car a part la cathédrale
Notre Dame, le théâtre et quelques belles
demeures du passé (certaines bien restaurées
et toutes de ce joli et chaleureux jaune colonial),
il ne subsiste que peu de traces de la présence
françaises.
Japprécie bien évidemment les grandes
et larges avenues bordées darbres et les
terrasses nombreuses des cafés qui me rappellent
certaines villes du sud de la France. Mais Saigon est
avant tout une ville dynamique, de nouveaux buildings
dun modernisme flamboyant y poussent comme des
champignons. De toute part, je vois des grues à
luvre. Le parti communiste Vietnamien a
fait il y a quelques années le virage de léconomie
de marché (tout en conservant au niveau politique
un régime très dur) : ce tournant économique
a été bien compris des Saïgonais
dont la prospérité économique est
bien visible.
Les téléphones cellulaires sont partout
et même jusquau fond des pagodes, au milieu
des odeurs de lencens, je les entends sonner.
La ville regorge de nouveaux endroits à la mode:
le bar de la terrasse du Caravelle hôtel (qui
offre une vue imprenable sur la ville) est le dernier
endroit en vogue ou toute la jeunesse branchée
et dorée de Saigon se retrouvent autour de délicieux
jus de fruit au Corossol pour voir et être vu..
Tous parlent un anglais impeccable et sont habilles
à la dernière mode de New York. Calvin
Klein et Donna Karan ont remplaces longui et sarongs.
Aux heures de pointe vers 17 heures, les grandes avenues
de Saigon se remplissent de dizaine de milliers de motos
au milieu desquelles se trouvent perdus quelques vélos
et quelques voitures. Les rues pourtant larges sont
vite saturées, et cest rapidement pire
que la place de létoile un jour de grève
de la RATP, cest peu dire pourtant !!. Cette
congestion donne lieu à un concert assourdissant
de pétarades et de klaxon qui nen fini
pas. De plus, le trafic est totalement anarchique ce
qui narrange rien a la situation de saturation.
Il ne semble ny avoir aucune règle en matière
de circulation : les feux rouges font office de figuration,
les policiers sépoumonent en vain dans
leurs sifflets, et les conducteurs conduisent (quand
ils le peuvent) à toute allure en klaxonnant
à chaque intersection pour prévenir de
leur arrivée imminente ! Et pourtant ça
marche les motos ont beau couper la route sans prévenir,
ne respecter aucun feu rouge, aucune priorité,
tout passe sans accident : cela tient du miracle.
Le musée des crimes de guerre américains,
au de là du nom provocateur et polémique,
relate de lhorreur au quotidien de la guerre du
VietNam où au total plus de 6 millions daméricains
combattirent. Les ravages de lagent orange sur
la faune, la flore et les êtres humains (déformation
génétique) sont particulièrement
effrayants. Les horreurs commises par les Américains
au cours de la guerre sont bien montrées mais
pour être totalement objectif le musée
pourrait contenir quelques témoignages de soldats
français capturés à Dien Bien Phu
(1 sur 2 nen revint pas) ou des prisonniers de
guerre américains.
Cest à Hué, ancienne capitale impériale,
située au milieu du pays que jai réalisé
à quel point les cultures chinoises et vietnamiennes
sont proches. Les religions, mélanges de confucianisme,
taoïsme, bouddhisme et croyances populaires se
ressemblent. A Hue, à la cour des empereurs NGuyen,
le chinois était de rigueur et lempereur
vivait dans la "cite interdite". Cette cité a
malheureusement été très abîmée
par les combats en 1945 entre Viet Minh et Japonais
puis en 1968 lors de loffensive du Tet. Un étudiant
en histoire avec qui javais sympathisé
la veille autour dune bière me fait découvrir
en vélo les tombeaux des empereurs dispersés
autour de Hue. Bien conservés car épargnés
par les combats, ils sont un témoignage fascinant
et plus parlant du faste de la cours de ces empereurs.
Les rites, les croyances, le protocole de la cour tout
semblait obéir à des règles séculaires
: Lempereur reclus dans sa cite, des mandarins
tout puissants, un cérémonial figé
et poussiéreux, des habits de soie et de dorure.
Bref, une vision dun temps qui me semble depuis
longtemps révolu, et pourtant ceci est très
récent puisque le dernier empereur Bao Dai sest
éteint à Paris dans les années
60.
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Le
Vietnam du Nord est donc très différent
du Sud. En mars, il y fait frais et je redécouvre
lusage du pantalon et du pull. Linfluence
chinoise y est plus marquée, ce qui se manifeste
notamment par une certaine réserve, voire une
certaine hostilité vis-à-vis des étrangers.
Ceci sexplique peut-être
également par le fait que le Nord, pays dirigé
par les communistes depuis 1954 (21 ans avant Saigon)
a été coupé du monde occidental
pendant des années. Jusquà peu,
il était même interdit à un Vietnamien
de sadresser à un étranger.
Hanoi, très différente de Saigon, est
une ville charmante. Enfin, une ville pour ceux qui
rêvent de revivre le temps de lIndochine
: La ville construite au bord de plusieurs lacs abrite
de somptueuses battisses, autrefois occupées
par de riches colons ou des hauts fonctionnaires et
aujourdhui devenues des ambassades. Ces demeures
au style colonial suranné, très bien entretenues,
de
ce fameux jaune colonial se trouvent le long de larges
avenues bordées darbres, le long desquelles
il est fort agréable de flâner. La ville
compte également nombre de boulangeries et de
terrasses de cafés et de grands bâtiments
administratifs coloniaux imposants devenus des ministères.
Contrairement à Saigon où la population
est très jeune, on voit davantage de personnes
âgées à Hanoi, notamment autours
des lacs, à les voir de dos on se croirait en
France dans les années daprès-guerre
: Tous les hommes portent bérets et vestes bien
taillées. Quelques phrases de français
leur reviennent à lesprit quand jéchange
quelques mots avec eux. Au centre de la ville trône
lOpéra de Hanoi récemment rénové
doù jai assisté à une
magnifique représentation de la neuvième
symphonie de Beethoven, une première au Vietnam.
Jai également assisté à une
superbe représentation du cirque de Hanoi : ni
dompteurs, ni clowns mais des acrobates et des contorsionnistes
dune agilité surprenante et aux numéros
inédits emprunts dune subtilité
toute orientale. Du grand art ! Mais le spectacle le
plus insolite et réussi, il est visible tous
les matins vers 6 heures sur le bord du lac, cest
le spectacle de la population de Hanoi qui se livre
à sa gymnastique quotidienne. Jeunes, vieux,
hommes et femmes, tous se retrouvent au lever du soleil
et commencent ainsi sportivement leur journée.
Cest de Hanoi que je me suis rendu à la
Baie dAlong. La représentation du site
est célébre : de gros rochers qui tombent
dans la mer de Chine, entre ces pains de sucre des jonques
rouges de pécheurs voguent toute voile dehors.
Le brouillard était au rendez-vous ce qui conférait
au site un air mystérieux, je mattendais
presque à voir aborder à tout instant
un bateau de pirates. Mais malheureusement que ce soit
de pirates ou de pécheurs, des jonques je nen
ai vu aucune car depuis quelques années, elles
ont été remplacées par des bateaux
à moteur, beaucoup plus efficaces. De plus, le
littoral a été saccagé par un urbanisme
incontrôlé et galopant. Macheter
une dizaine de cartes postales prises il y a 5 ans maurait
épargné ce voyage dans cette baie somme
toute décevante !
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Pour
me consoler de cette expédition ratée
dans la Baie dAlong, je décide de me rendre
dans le Nord-Ouest, une région de montagne (les
moyens plateaux) difficile daccès et délaissée
des touristes. Je me rends avec un ami en train à
Lao Cai, à la frontière chinoise et de
la mon plan est simple : louer des motos et me diriger
vers Dien Bien Phu à 300 km à lOuest.
Fraîchement arrivés à Lao Cai, nous
négocions la location de motos pour 5 dollars
par jour. Ce sont deux habitants qui nous louent leurs
propres motos pour quelques jours, ils ne nous demandent
ni cautions, ni nos noms. Cest un rapport de confiance.
La moto louée est la "fameuse" moto Minsk, une
moto russe de 125 cm3.
Nous attachons davantage dimportance à
négocier le prix des motos plutôt quà
en vérifier létat, une très
mauvaise idée !!. Apres avoir été
rapidement briefé sur lutilisation de lengin
(était la première fois que je conduisais
une aussi grosse moto), me voici sur une route de montagne
en direction de Sapa. La route est étroite, à
flanc de montagne, bordée de précipices.
La montée est rude, les virages en épingle
à cheveux, les camions ou voitures sont heureusement
rares mais déboulent des tournants à toute
allure. Le revêtement par contre est excellent.
Nos motos, louées pourtant depuis peu, ne tardent
pas à nous jouer des tours, le câble de
mon frein avant lâche alors quun camion
arrive en face de moi à toute vitesse, cest
in extremis que jévite le bolide ! Quelques
minutes plus tard cest au tour du cordon dembrayage
de la moto de mon compagnon de lâcher ; il nous
faut réparer nos engins rapidement mais nous
sommes en pleines montagnes au milieu de nul part. Cest
alors que sorti don ne sait où surgit un
gamin qui, dans un anglais hésitant, nous propose
de nous conduire chez son frère, mécanicien.
Laide est providentielle, nous tirons à
laide de lanières la moto sans embrayage,
jutilise mon frein a pied et parvenons ainsi chez
le réparateur qui officie avec diligence, efficacité
et surtout à un tarif à faire pâlir
les garagistes de Paris.
Nous reprenons alors la route qui me rappelle ces petites
routes de montagnes, très escarpes, si nombreuses
en Corse. Cette ressemblance est accentuée par
la présence de bornes kilométriques rouges,
typiquement françaises. A mesure que nous approchons
de Sapa, nous dépassons et croisons des tribus
Hmong et Tzaos dont la tenue est caractéristique.
Les Hmongs sont vêtus en noirs, les Tzaos en rouges.
Ces minorités peuplent le Nord-Ouest du Vietnam
et ont conserve leurs costumes traditionnels distinctifs
faits de chanvre et de tissus brodés dont les
couleurs sont différentes en fonction des tribus.
Les coiffes et les bijoux (notamment les boucles doreille)
sont également spécifiques. Les tribus
ont conservé leurs langues, leurs rites et coutumes,
leurs chants et leurs musiques, leur mode dhabitat,
et les Vietnamiens, à la fois fascinés
et méprisants les appèlent en français
dans le texte " les montagnards". Sapa que nous finissons
par atteindre sans encombre est un village perché
dans les montagnes ou descendent les tribus environnantes
pour vendre au marché le résultat de leurs
cultures et leurs artisanats. La ville est un lieu de
rencontre et échange de ces tribus dun
autre age. Dans les villages de ces tribus que je découvre
après de longues marches à pied, la culture
du riz est remplacée par celle du thé
et de lopium. Le système dirrigation
et de canalisation (tout en bambous fendus) est fascinant.
La force du courant des rivières est également
utilisée ingénieusement pour actionner
dénormes pillons à riz.
Entre Sapa et Binh Lu, il ny a que 40 kilomètres
pourtant il nous fallu plus de 3 heures pour les parcourir
en moto. La route a laissé place à une
piste défoncée poussiéreuse et
sur laquelle les résultats de nombreux éboulis
ont laissé de gros cailloux et pierres quil
est difficile déviter. Cest à
un véritable moto-cross que je dois me livrer.
La route continue de monter et descendre, le ravin est
toujours la, je nai guère le temps dapprécier
le paysage pourtant sublime. Cest arrivé
à Binh Lu, après 2 jours de moto, de freins
cassés, damortisseurs défoncés,
de pneus crevés, de routes défoncées
que nous réalisons que notre projet de conduite
jusqua Dien Bien Phu était trop ambitieux
et que nous labandonnons. Nous décidons
de séjourner plus longuement à Sapa où
nous avons rencontré deux françaises avec
lesquelles nous avons sympathisés et de rayonner
sur les villages environnants.
Ces quelques jours que jai passé à
Sapa étaient délicieux. Les journées
étaient bien occupées à rencontrer
des tribus fascinantes, à arpenter des routes
magnifiques, à découvrir un Vietnam insolite.
Le soir, nous nous retrouvions à lhôtel
Victoria, un hôtel luxueux ou le manager, un jeune
français installé depuis 6 mois au Vietnam,
nous accueillait bras ouvert tous les soirs pour des
parties de tarots et de belotes endiablées. Nous
nous reposions et échauffions au coin de la cheminée,
confortablement installe dans de gros canapés
! Quel contraste par rapport aux scènes que nous
découvrions dans les villages !! Jai même
pu déguster au Victoria Hotel, une fondue au
fromage importe demmental !! Ce n'était
pas désagréable déchapper
pour une soirée au riz mais cela ma coûte
mon budget nourriture dune semaine !
Jai fini ce séjour a Bac Ha, le plus grand
marché du Nord Ouest, où se retrouvent
le dimanche tous les représentants des différentes
tribus. Cest un véritable festival de couleurs
vives. Ici tout sachète, se vend, se troque.
Devant moi, des jeunes époux achètent
le socle de leur première charrue, un peu plus
loin les vieux fument le tabac dans la pipe a eaux tandis
que les femmes sextasient bruyamment devant les
tissus multicolores. Les ménagères viennent
faire leur marche, et comme gage de fraîcheur
aiment acheter leur nourriture sur pied, cest
à dire acheter vivants les cochons, poulets ou
chiens qui finiront dans lassiette. Cest
donc une joyeuse cacophonie sur le marché aux
animaux dont le traitement ferait sans nul doute hurler
Brigitte Bardot. Bac Ha nest quà
20 kilomètres de la frontière chinoise
mais avant daller en Chine, je dois repasser à
Hanoi a 500 km et 18 heures de train pour récupérer
passeport et visa.
Prochaine étape : LEmpire du milieu
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