Sommaire
- les chroniques
- introduction
- carnet 1 : first exposure to asia
- carnet 2 : les routes de l'himalaya
- carnet 3 : le tigre de bengale
- carnet 4 : la route de l'inde
- carnet 5 : l'asie des rizières
- carnet 6 : aventures en birmanie
- carnet 7 : indochine
- carnet 8 : l’empire du milieu
- carnet 9 : l'empire du soleil levant.
 
Carnets sur la route d'Asie
[6] Aventures en Birmanie
par Nicolas Lenoir
Pour me remettre de mes émotions cambodgiennes et Laotiennes j’ai reporté mon séjour au Vietnam, et décidé de m’accorder quelques jours "de vacances" dans le Sud de la Thaïlande. Les plages que j’ai visitées : Phuket, Krabi, Ko Phi Phi (c’est la qu’a été tourné le dernier navet avec Di Caprio, The Beach) et Ko Samui sont fidèles à l’image d’Epinal que l’on s’en fait. Sable blanc, eau turquoise, cocotiers, paysages fantastique (notamment à Krabi), eau chaude, température extérieure exquise, ciel bleu Je pensais que ces genres d’endroits n’existaient que sur les cartes postales ou dans les dépliants touristiques mais je me trompais. Cependant, c’est un secret mal gardé et les touristes sont trop nombreux, les villes balnéaires quelques peu dénaturées. Apres un repos bien agréable, je décide de reprendre la route en direction de la Birmanie.
 
La Birmanie (rebaptisée Myanmar il y a 10 ans dans l’indifférence la plus totale) collectionne les titres peu flatteurs : un des pays les pauvres du monde, une des dictatures les plus sanglantes, un des taux de mortalité infantile les plus élevés de la planète (8 pour 1000). La Birmanie a vraiment mauvaise réputation. Son régime politique : une dictature militaire implacable est honnie de la communauté internationale. La junte corrompue bafoue régulièrement les droits de l’homme et le pays fait l’objet d’un boycott mondial.


Le pays soulève d’ailleurs les passions des voyageurs et aventuriers de tous poils, et l’évocation même du nom provoque des réactions passionnées. Lorsque au Laos, j’eus le malheur d’annoncer à quelques voyageurs que je comptais me rendre en Birmanie, je me suis fait traiter de support du régime, collabo, fasciste, etc. Il est vrai qu’a l’entrée du pays la junte impose le change de 300 dollars en monnaie locale, 300 dollars qui viennent directement entretenir les caisses du régime Mais en même temps, le tourisme est un des seuls moyens par la population d’accroître un peu ses revenus et surtout d’avoir des contacts avec le monde extérieur.

Le pays est gouverné par une sorte de comité de salut public : le "state law and order restoration council" (tout un programme !!). Les dirigeants sont le Chairman, le secretary 1, 2 et 3 du SLORC. Le SLORC a fermé depuis 1988 toutes les universités pour éviter des soulèvements étudiants comme la Birmanie en a connu cette année là et qui ont pour un temps failli faire vaciller le régime. Les femmes seules n’ont pas le droit de sortir non accompagnées le soir après 21 heures (le gouvernement estime qu’une femme est une prostitué en puissance). Tous les postes clefs du pays sont occupés par des militaires à la chemise verte. La presse et les journaux télévisés sont à ce titre édifiants : on n’y montre que parades, défilés militaires et autres ouvrages d’art inaugurés par le secrétaire numéro 1 ou 2 sous "la liesse populaire ", ou des écoles visitées par un autre secrétaire accueillis " chaleureusement et respectueusement " par les enfants. Dans les rues, on voit régulièrement en anglais et en Birmans des panneaux de propagande intitulés : "people’s desire".

Ceci dit, a mon corps défendant, je dois admettre que pour un touriste de passage, la junte cache bien son jeu. A part les signes visibles de propagande comme le contrôle de l’information (par exemple depuis deux mois, la junte a interdit Internet et coupé tous les accès au réseau mondial), la présence militaire n’est pas vraiment visible. En circulant dans le pays, je n’ai jamais été arrêté par un barrage militaire, on voit certes de nombreux uniformes mais pas plus qu’en Thaïlande.

Cependant un vieux professeur d’histoire d’université qui pour survivre proposait ses services de guide à la Grande Pagode de Rangoon et que j’interrogeai sur la cause de la fermeture des universités (et donc sa mise au chômage) me chuchota à l’oreille et en regardant furtivement à gauche et à droite le mot "politics", sa crainte visible à prononcer ce simple mot montre que l’espionnage des Birmans par la police politique doit être constant.

Mais pour le voyageur, l’arrivée à l’aéroport est aisée, le contrôle d’identité expédié, les douaniers souriants. D’après de nombreux rapports c’est dans les zones frontalières, notamment dans l’Est du pays à la frontière avec la Thaïlande que l’armée se livre à des atrocités notamment contre les tribus rebelles Karens. Un rapport du "department of Labor" américain fait aussi état de main d’œuvre forcée et il est vrai qu’en voyageant en bus j’ai vu souvent des paysans (le plus souvent des femmes) encadrés par quelques militaires qui travaillaient (sans grande ardeur ni efficacité) à (re)faire les routes. S’agit-il de la corvée comme la connaissait la France du moyen-age ?

Il est vrai qu’à bien des égards le pays donne l’impression être au niveau de développement de la France d’avant la révolution : les chars à bœufs et les charrettes tirées par les chevaux sont les moyens de transport les plus couramment utilisés, et ce même dans les rues de Rangoon et de Mandalay. Le téléphone est quasiment inexistant (je ne parle même du téléphone mobile !). Les champs sont labourés à la force des bras voire à l’aide de bœufs (je n’ai pas vu un seul tracteur !). Les usines sont rares et les conditions de travail épouvantables, la fabrique des cigares, le travail du textile et des métaux, tout cela se fait encore à la main sans machine. Le pays en est encore au métier à tisser Jacquard manuel et aux enclumes !!
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Si la poigne de fer militaire n’est pas donc pas vraiment visible au visiteur de passage, ce qui saute aux yeux c’est le retard économique considérable du pays et donc l’échec flagrant des militaires a apporté aux pays prospérité et bien-être économique et social. Le pays est hors du temps, longtemps fermé sur même il a très peu subi l’influence occidentale, ce qui le rend à la fois authentique, passionnant et intriguant pour le voyageur.

Hommes et femmes portent encore tous langui et sarong, ils se maquillent le visage à partir de bois, on dirait une sorte de boue claire qu’ils se sont appliqués sur les joues voire partout sur le visage, ceci est censé assouplir la peau, la blanchir et la protéger du soleil. Les hommes apprécient particulièrement le bétel, une sorte de chique rouge qu’ils mâchent et crachent à longueur de journée et qui a des dégâts irrémédiables sur leurs dents (celles qui restent) et mâchoires devenues toutes rouges. D’un naturel très joyeux, les Birmans adorent chanter du haut de leur vélo. Les grands tubes américains ont d’ailleurs été systématiquement birmanisés.

Les habitants se déplacent principalement en vélo, contrairement au Cambodge ou même au Laos, ils ne sont même pas encore passés au stade de la moto. Le pays est gros producteur de pétrole (grâce la collaboration de Total qui fait fi du boycott mondial) et pourtant l’essence est rationnée et l’on voit des files sans fin s’agglutiner devant les stations d’essence qui sont le plus souvent fermées. La Birmanie a développé un système d’économie autarcique. Le pays produit ses cigarettes, son ersatz de coca-cola (le star cola), son savon, sa bière. En Birmanie, on consomme birmans même les majors américaines : Colgate, Malboro, etc. ne sont pas présentes (ce qui est reposant pour les yeux car on échappe au matraquage publicitaire).

Marché noir et économie parallèle prospèrent, entretenues par le régime puisque au plus haut niveau les dirigeants corrompus se livrent au trafic du bois (teck) et de l’opium. En Birmanie, tout se monnaye, une prolongation de visa, la possibilité de changer à l’arrivée moins que les 300 dollars "obligatoires"... Le troque est également encore largement répandu, j’ai ainsi pu échanger T-shirt, chaussette et casquette contre des souvenirs. Par contre, personne n’a voulu de mon vieux jeans, non pas en raison de son état mais de sa taille, les Birmans sont vraiment très petits ! !

La population est d’origine ethnique très variée : les Birmans (60%) cohabitent avec les Shâns, Karens, Hmong. On compte aussi de grosses communautés indiennes et chinoises souvent au Myanmar depuis de nombreuses générations et qui ont conservé leurs types caractéristiques. Ainsi dans les rues on croise des types de visages très différents, des gens à la peau plus ou moins foncée, aux yeux plus ou moins bridés. De tous les pays d’Asie que j’ai visite c’est sans conteste celui a la diversité ethnique le plus marqué.

On roule à droite en Birmanie mais le volant est aussi à droite. Cette aberration, on la doit à l’homme fort du régime, celui-ci très superstitieux se fie en tout à son astrologue. Or son astrologue lui a un jour expliqué que de rouler à gauche avait une mauvaise influence sur ses astres. Donc du jour au lendemain le général a imposé aux voitures de rouler à droite ; mais les voitures elles ont gardé leur volant a droite. Ce qui rend la circulation automobile (heureusement limitée) difficile et dangereuse notamment en cas de dépassement. L’astrologue est aussi a l’origine des billets (d’un usage très pratique !!) de 45 et 90 (car 4+5=9 et 9+0=9 ce qui selon l’astrologue est le chiffre chanceux du général).

Les routes sont particulièrement mauvaises, certaines sont goudronnées mais si mal (comme si le rouleau compresseur n’avait pas encore été découvert en Birmanie) que l’on préférait en fait qu’elles ne le soient pas. Les rares engins à moteur qui circulent sur les routes sont les camions de l'armée (très nombreux) et les bus (pas assez nombreux) ainsi que quelques camions notamment en provenance de la Chine et chargés à bloc de produits d’importation de base. Les Chinois tiennent d’ailleurs les reines de l'économie.

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La Birmanie n’a pas son égale en ce qui concerne la rudesse des transports en commun. Moi qui croyais avoir tout vu après l’Inde et le Laos, rétrospectivement après la Birmanie cela me parait le grand luxe. Les distances sont relativement courtes mais les temps de trajets très longs : 15 h pour aller de Rangoon à Mandalay (580 km), 18 h pour aller du Lac Inlay à Rangoon (500 km). De plus, les bus peu nombreux sont bondés, les amortisseurs depuis longtemps ont rendu l’âme, les fauteuils défoncés, et l’espace entre les fauteuils étant conçu pour les Birmans (petits de constitution) ils ne laissent guère de place pour les genoux (vite ankylosés) des grands occidentaux. Les routes sont souvent des routes de montagnes, et en monté, il faut régulièrement s’arrêter pour jeter de l’eau sur le moteur, les pneus et freins qu’il est nécessaire de ménager vu leur vieil age. Après avoir occupés tous les sièges à 3 ou 4 personnes, occupés la rangée du milieu, avoir 5 ou 6 personnes qui se pendent accrocher à la porte, les Birmans s’installent sur le toit et le bus, qui ne désemplit pas, continue imperturbablement sa route pendant des heures interminables.


Les paysages sont très variés : jungle épaisse et impénétrable au sud, plaines arides et semi-désertiques (les seuls endroits en Asie du Sud-Est où poussent des cactus) à l’Est, montagnes à l’Ouest et au Nord. Le pays abrite une faune nombreuse notamment toute sorte d’insectes et de serpents. De nombreuses parties du pays ne sont pas accessibles au voyageur, notamment les zones frontalières avec la Thaïlande qui sont le théâtre des actions de guérilla des rebelles Karens. On ne voit de la Birmanie que ce que le gouvernement veut bien montrer.

Une constante dans les régions que j’ai traversées : les rizières et les pagodes dont les Stupas sont recouvertes d’or. Les campagnes, les villes sont parsemées de pagodes. Les pagodes poussent comme des champignons, on pourrait presque croire que c’est une culture tant il y en a. Tous les incidents du relief sont prétextes a pagode : un mont, une colline, une rivière, etc... Les Birmans dépensent leurs économies à couvrir et recouvrir de feuilles d’or leurs pagodes.

Très étendue, Yangoon est une ville fort agréable, le climat y est chaud mais sec. Le soir, la température se rafraîchit et il est fort agréable de flâner au bord du Lac d’où l’on peut observer les charmantes vieilles demeures coloniales anglaises (maintenant occupées par les apparatchik). La ville, très verte, compte de très nombreux parc et jardins, les rues sont bordées de grands arbres somptueux. On trouve très peu de grands buildings à Rangoon. La ville reste dominée par la Schwedagon Pagoda. Le lever de soleil y est extraordinaire. Dès l’aube les Birmans très croyants s’y rendent nombreux pour prier et procéder à la cérémonie de la toilette du Bouddha. En fonction de son jour de naissance, les fidèles prient à différents endroits de la Pagode. La semaine compte 8 jours en Birmanie : on distingue le mercredi matin du mercredi après midi. Heureusement pour les Birmans le week-end de deux jours ne tombe pas un mercredi !!

Riche en matière première, la Birmanie fut autrefois un pays prospère comme en témoigne les anciennes capitales royales qui se trouve autour de Mandalay. A Mingum, un roi mégalo avait entrepris la construction de ce qui aurait du être la plus grande pagode du monde mais le projet ne fut jamais mené à terme, seule l’impressionnante base de l’édifice demeure. Mandalay est la deuxième ville du pays mais ressemble davantage à une grosse bourgade assez plaisante que l’on découvre à vélo dont les rues sont encombrées. La chaleur y est cependant accablante.

C’est à Pagan que la température est la plus chaude car le site est dans la plaine. Pagan est à la Birmanie ce qu’est Angkor au Cambodge (mais le secret est mieux gardé et les touristes y sont bien moins nombreux). Le site est fascinant à découvrir en vélo à l’aube et au coucher du soleil (la chaleur est tellement assommante qu’on ne peut pas faire de vélo au milieu de la journée). Il s’agit d’une centaine de temples eparpillés sur quelques hectares. Les temples sont assez intéressants mais surtout ce qui est fantastique c’est la vue d’ensemble du site.


Kalau est un petit village perché en haut des montagnes, l’arrivée y est difficile : une route escarpée au bitume défoncé y mène. Le village a lacuriosité de compter nombre de Népalais, descendants de soldats de l'armée des Indes qui luttèrent en Birmanie contre l’invasion japonaise au cours de la deuxième guerre mondiale. La guerre finie, ceux-ci décidèrent de s’installer dans ces montagnes qui leur rappelaient leur pays mais où, à l’époque, la vie y était plus facile. Leurs descendants (plus de 2000 à Kalau) parlent le népalais, mangent népalais, sont hindouistes et se marient entre eux. Mais... pour la plupart ne sont jamais allés au Népal. Kalau est aussi le lieu d’un marché très coloré (appelé le marché des 5 jours car il tourne sur un rythme de cinq jours sur les 5 villages principaux de la vallée) où les minorités ethniques des montagnes environnantes viennent vendre ou troquer les rares fruits et légumes qu’ils produisent.

C’est de Kalau que je suis parti en expédition à la recherche des villages de minorités ethniques (les Palaongs). Apres plusieurs heures de marche dans les montagnes, je suis parvenu à un village à flanc de coteau. Le village est bordé de cultures, il s’agit de thé (culture qui a récemment remplacé l’opium). Le principe de la culture en terrasse n’est pas encore parvenu jusqu’ici. La Birmanie ce n’est déjà pas bien riche, ce village c’était la misère. Traditionnellement les Palaong habitent à plusieurs familles par maison. L’une d’elle très large abrite 14 familles et compte 10 chambres et une grande pièce commune. Généralement les parents de chaque famille occupent une chambre et les enfants dorment dans la pièce commune mais certaines familles pauvres doivent même partager leurs chambres. Le village a ses propres règles qui sont appliquées de manière stricte (la loi birmane n'a pas franchi ces montagnes) : les voleurs et violeurs sont tués sur le champs. Si un Palaong se marie avec une non-Palaong, il ne pourra pas construire sa maison dans le village mais seulement à l’extérieur, il est interdit de boire de l’alcool dans le village. Le village compte une école, l’institutrice est payée par le gouvernement birman mais ce sont les villageois qui lui ont construit une maison (en dehors du village) et lui fournissent sa nourriture. Leur peu d’argent les Palaong le dépensent en offrande au monastère, et au jeu...

Apres cette expédition, je suis allé me reposer au bord des rives enchantées du Lac Inlay. Un lac très large entoure de montagnes. Le lac est célèbre pour ses rameurs unijambistes. Des pêcheurs qui naviguent leur barque a la godille. Ils tiennent en équilibre sur le pied gauche et calent leur rame à l’intérieur de la cuisse entre le genou et la plante des pieds. Ils rament ainsi en faisant des 8 dans l’eau en équilibre sur leur barque. C’est difficile à décrire mais très impressionnant à observer. La pêche est bien entendue ici pratiquée traditionnellement et le poisson y est délicieux. La nourriture birmane est d’ailleurs esquisse (contrairement à sa réputation), notamment le porc a la moutarde.

Prochaine étape : le Viet Nam

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