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Carnets
sur la route d'Asie |
[6]
Aventures en Birmanie |
par
Nicolas
Lenoir |
Pour
me remettre de mes émotions cambodgiennes et
Laotiennes j’ai reporté mon séjour au
Vietnam, et décidé de m’accorder quelques
jours "de vacances" dans le Sud de la Thaïlande.
Les plages que j’ai visitées : Phuket, Krabi,
Ko Phi Phi (c’est la qu’a été tourné
le dernier navet avec Di Caprio, The Beach) et Ko Samui
sont fidèles à l’image d’Epinal que l’on
s’en fait. Sable blanc, eau turquoise, cocotiers, paysages
fantastique (notamment à Krabi), eau chaude,
température extérieure exquise, ciel bleu
Je pensais que ces genres d’endroits n’existaient que
sur les cartes postales ou dans les dépliants
touristiques mais je me trompais. Cependant, c’est un
secret mal gardé et les touristes sont trop nombreux,
les villes balnéaires quelques peu dénaturées.
Apres un repos bien agréable, je décide
de reprendre la route en direction de la Birmanie.
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La
Birmanie (rebaptisée Myanmar il y a 10 ans dans
l’indifférence la plus totale) collectionne les
titres peu flatteurs : un des pays les pauvres du monde,
une des dictatures les plus sanglantes, un des taux
de mortalité infantile les plus élevés
de la planète (8 pour 1000). La Birmanie a vraiment
mauvaise réputation. Son régime politique
: une dictature militaire implacable est honnie de la
communauté internationale. La junte corrompue
bafoue régulièrement les droits de l’homme
et le pays fait l’objet d’un boycott mondial.
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Le
pays soulève d’ailleurs les passions des voyageurs
et aventuriers de tous poils, et l’évocation
même du nom provoque des réactions passionnées.
Lorsque au Laos, j’eus le malheur d’annoncer à
quelques voyageurs que je comptais me rendre en Birmanie,
je me suis fait traiter de support du régime,
collabo, fasciste, etc. Il est vrai qu’a l’entrée
du pays la junte impose le change de 300 dollars en
monnaie locale, 300 dollars qui viennent directement
entretenir les caisses du régime Mais en même
temps, le tourisme est un des seuls moyens par la population
d’accroître un peu ses revenus et surtout d’avoir
des contacts avec le monde extérieur.
Le pays est gouverné par une sorte de comité
de salut public : le "state law and order restoration
council" (tout un programme !!). Les dirigeants
sont le Chairman, le secretary 1, 2 et 3 du SLORC. Le
SLORC a fermé depuis 1988 toutes les universités
pour éviter des soulèvements étudiants
comme la Birmanie en a connu cette année là
et qui ont pour un temps failli faire vaciller le régime.
Les femmes seules n’ont pas le droit de sortir non accompagnées
le soir après 21 heures (le gouvernement estime
qu’une femme est une prostitué en puissance).
Tous les postes clefs du pays sont occupés par
des militaires à la chemise verte. La presse
et les journaux télévisés sont
à ce titre édifiants : on n’y montre que
parades, défilés militaires et autres
ouvrages d’art inaugurés par le secrétaire
numéro 1 ou 2 sous "la liesse populaire
", ou des écoles visitées par un
autre secrétaire accueillis " chaleureusement
et respectueusement " par les enfants. Dans les
rues, on voit régulièrement en anglais
et en Birmans des panneaux de propagande intitulés
: "people’s desire".
Ceci dit, a mon corps défendant, je dois admettre
que pour un touriste de passage, la junte cache bien
son jeu. A part les signes visibles de propagande comme
le contrôle de l’information (par exemple depuis
deux mois, la junte a interdit Internet et coupé
tous les accès au réseau mondial), la
présence militaire n’est pas vraiment visible.
En circulant dans le pays, je n’ai jamais été
arrêté par un barrage militaire, on voit
certes de nombreux uniformes mais pas plus qu’en Thaïlande.
Cependant un vieux professeur d’histoire d’université
qui pour survivre proposait ses services de guide à
la Grande Pagode de Rangoon et que j’interrogeai sur
la cause de la fermeture des universités (et
donc sa mise au chômage) me chuchota à
l’oreille et en regardant furtivement à gauche
et à droite le mot "politics", sa crainte
visible à prononcer ce simple mot montre que
l’espionnage des Birmans par la police politique doit
être constant.
Mais pour le voyageur, l’arrivée à l’aéroport
est aisée, le contrôle d’identité
expédié, les douaniers souriants. D’après
de nombreux rapports c’est dans les zones frontalières,
notamment dans l’Est du pays à la frontière
avec la Thaïlande que l’armée se livre à
des atrocités notamment contre les tribus rebelles
Karens. Un rapport du "department of Labor"
américain fait aussi état de main d’œuvre
forcée et il est vrai qu’en voyageant en bus
j’ai vu souvent des paysans (le plus souvent des femmes)
encadrés par quelques militaires qui travaillaient
(sans grande ardeur ni efficacité) à (re)faire
les routes. S’agit-il de la corvée comme la connaissait
la France du moyen-age ?
Il est vrai qu’à bien des égards le pays
donne l’impression être au niveau de développement
de la France d’avant la révolution : les chars
à bœufs et les charrettes tirées par les
chevaux sont les moyens de transport les plus couramment
utilisés, et ce même dans les rues de Rangoon
et de Mandalay. Le téléphone est quasiment
inexistant (je ne parle même du téléphone
mobile !). Les champs sont labourés à
la force des bras voire à l’aide de bœufs (je
n’ai pas vu un seul tracteur !). Les usines sont rares
et les conditions de travail épouvantables, la
fabrique des cigares, le travail du textile et des métaux,
tout cela se fait encore à la main sans machine.
Le pays en est encore au métier à tisser
Jacquard manuel et aux enclumes !!
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Si
la poigne de fer militaire n’est pas donc pas vraiment
visible au visiteur de passage, ce qui saute aux yeux
c’est le retard économique considérable
du pays et donc l’échec flagrant des militaires
a apporté aux pays prospérité et
bien-être économique et social. Le pays
est hors du temps, longtemps fermé sur même
il a très peu subi l’influence occidentale, ce
qui le rend à la fois authentique, passionnant
et intriguant pour le voyageur.
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Hommes
et femmes portent encore tous langui et sarong, ils se
maquillent le visage à partir de bois, on dirait
une sorte de boue claire qu’ils se sont appliqués
sur les joues voire partout sur le visage, ceci est censé
assouplir la peau, la blanchir et la protéger du
soleil. Les hommes apprécient particulièrement
le bétel, une sorte de chique rouge qu’ils mâchent
et crachent à longueur de journée et qui
a des dégâts irrémédiables
sur leurs dents (celles qui restent) et mâchoires
devenues toutes rouges. D’un naturel très joyeux,
les Birmans adorent chanter du haut de leur vélo.
Les grands tubes américains ont d’ailleurs été
systématiquement birmanisés.
Les habitants se déplacent principalement en vélo,
contrairement au Cambodge ou même au Laos, ils ne
sont même pas encore passés au stade de la
moto. Le pays est gros producteur de pétrole (grâce
la collaboration de Total qui fait fi du boycott mondial)
et pourtant l’essence est rationnée et l’on voit
des files sans fin s’agglutiner devant les stations d’essence
qui sont le plus souvent fermées. La Birmanie a
développé un système d’économie
autarcique. Le pays produit ses cigarettes, son ersatz
de coca-cola (le star cola), son savon, sa bière.
En Birmanie, on consomme birmans même les majors
américaines : Colgate, Malboro, etc. ne sont pas
présentes (ce qui est reposant pour les yeux car
on échappe au matraquage publicitaire).
Marché noir et économie parallèle
prospèrent, entretenues par le régime puisque
au plus haut niveau les dirigeants corrompus se livrent
au trafic du bois (teck) et de l’opium. En Birmanie, tout
se monnaye, une prolongation de visa, la possibilité
de changer à l’arrivée moins que les 300
dollars "obligatoires"... Le troque est également
encore largement répandu, j’ai ainsi pu échanger
T-shirt, chaussette et casquette contre des souvenirs.
Par contre, personne n’a voulu de mon vieux jeans, non
pas en raison de son état mais de sa taille, les
Birmans sont vraiment très petits ! !
La population est d’origine ethnique très variée
: les Birmans (60%) cohabitent avec les Shâns, Karens,
Hmong. On compte aussi de grosses communautés indiennes
et chinoises souvent au Myanmar depuis de nombreuses générations
et qui ont conservé leurs types caractéristiques.
Ainsi dans les rues on croise des types de visages très
différents, des gens à la peau plus ou moins
foncée, aux yeux plus ou moins bridés. De
tous les pays d’Asie que j’ai visite c’est sans conteste
celui a la diversité ethnique le plus marqué.
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On
roule à droite en Birmanie mais le volant est aussi
à droite. Cette aberration, on la doit à
l’homme fort du régime, celui-ci très superstitieux
se fie en tout à son astrologue. Or son astrologue
lui a un jour expliqué que de rouler à gauche
avait une mauvaise influence sur ses astres. Donc du jour
au lendemain le général a imposé
aux voitures de rouler à droite ; mais les
voitures elles ont gardé leur volant a droite.
Ce qui rend la circulation automobile (heureusement limitée)
difficile et dangereuse notamment en cas de dépassement.
L’astrologue est aussi a l’origine des billets (d’un usage
très pratique !!) de 45 et 90 (car 4+5=9 et 9+0=9
ce qui selon l’astrologue est le chiffre chanceux du général).
Les routes sont particulièrement mauvaises, certaines
sont goudronnées mais si mal (comme si le rouleau
compresseur n’avait pas encore été découvert
en Birmanie) que l’on préférait en fait
qu’elles ne le soient pas. Les rares engins à moteur
qui circulent sur les routes sont les camions de l'armée
(très nombreux) et les bus (pas assez nombreux)
ainsi que quelques camions notamment en provenance de
la Chine et chargés à bloc de produits d’importation
de base. Les Chinois tiennent d’ailleurs les reines de
l'économie. |
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La
Birmanie n’a pas son égale en ce qui concerne
la rudesse des transports en commun. Moi qui croyais
avoir tout vu après l’Inde et le Laos, rétrospectivement
après la Birmanie cela me parait le grand luxe.
Les distances sont relativement courtes mais les temps
de trajets très longs : 15 h pour aller de Rangoon
à Mandalay (580 km), 18 h pour aller du Lac Inlay
à Rangoon (500 km). De plus, les bus peu nombreux
sont bondés, les amortisseurs depuis longtemps
ont rendu l’âme, les fauteuils défoncés,
et l’espace entre les fauteuils étant conçu
pour les Birmans (petits de constitution) ils ne laissent
guère de place pour les genoux (vite ankylosés)
des grands occidentaux. Les routes sont souvent des
routes de montagnes, et en monté, il faut régulièrement
s’arrêter pour jeter de l’eau sur le moteur, les
pneus et freins qu’il est nécessaire de ménager
vu leur vieil age. Après avoir occupés
tous les sièges à 3 ou 4 personnes, occupés
la rangée du milieu, avoir 5 ou 6 personnes qui
se pendent accrocher à la porte, les Birmans
s’installent sur le toit et le bus, qui ne désemplit
pas, continue imperturbablement sa route pendant des
heures interminables.
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Les paysages sont très variés : jungle épaisse
et impénétrable au sud, plaines arides et
semi-désertiques (les seuls endroits en Asie du
Sud-Est où poussent des cactus) à l’Est,
montagnes à l’Ouest et au Nord. Le pays abrite
une faune nombreuse notamment toute sorte d’insectes et
de serpents. De nombreuses parties du pays ne sont pas
accessibles au voyageur, notamment les zones frontalières
avec la Thaïlande qui sont le théâtre
des actions de guérilla des rebelles Karens. On
ne voit de la Birmanie que ce que le gouvernement veut
bien montrer.
Une constante dans les régions que j’ai traversées
: les rizières et les pagodes dont les Stupas sont
recouvertes d’or. Les campagnes, les villes sont parsemées
de pagodes. Les pagodes poussent comme des champignons,
on pourrait presque croire que c’est une culture tant
il y en a. Tous les incidents du relief sont prétextes
a pagode : un mont, une colline, une rivière, etc...
Les Birmans dépensent leurs économies à
couvrir et recouvrir de feuilles d’or leurs pagodes.
Très étendue, Yangoon est une ville fort
agréable, le climat y est chaud mais sec. Le soir,
la température se rafraîchit et il est fort
agréable de flâner au bord du Lac d’où
l’on peut observer les charmantes vieilles demeures coloniales
anglaises (maintenant occupées par les apparatchik).
La ville, très verte, compte de très nombreux
parc et jardins, les rues sont bordées de grands
arbres somptueux. On trouve très peu de grands
buildings à Rangoon. La ville reste dominée
par la Schwedagon Pagoda. Le lever de soleil y est extraordinaire.
Dès l’aube les Birmans très croyants s’y
rendent nombreux pour prier et procéder à
la cérémonie de la toilette du Bouddha.
En fonction de son jour de naissance, les fidèles
prient à différents endroits de la Pagode.
La semaine compte 8 jours en Birmanie : on distingue le
mercredi matin du mercredi après midi. Heureusement
pour les Birmans le week-end de deux jours ne tombe pas
un mercredi !!
Riche en matière première, la Birmanie fut
autrefois un pays prospère comme en témoigne
les anciennes capitales royales qui se trouve autour de
Mandalay. A Mingum, un roi mégalo avait entrepris
la construction de ce qui aurait du être la plus
grande pagode du monde mais le projet ne fut jamais mené
à terme, seule l’impressionnante base de l’édifice
demeure. Mandalay est la deuxième ville du pays
mais ressemble davantage à une grosse bourgade
assez plaisante que l’on découvre à vélo
dont les rues sont encombrées. La chaleur y est
cependant accablante.
C’est à Pagan que la température est la
plus chaude car le site est dans la plaine. Pagan est
à la Birmanie ce qu’est Angkor au Cambodge (mais
le secret est mieux gardé et les touristes y sont
bien moins nombreux). Le site est fascinant à découvrir
en vélo à l’aube et au coucher du soleil
(la chaleur est tellement assommante qu’on ne peut pas
faire de vélo au milieu de la journée).
Il s’agit d’une centaine de temples eparpillés
sur quelques hectares. Les temples sont assez intéressants
mais surtout ce qui est fantastique c’est la vue d’ensemble
du site.
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Kalau est un petit village perché en haut des montagnes,
l’arrivée y est difficile : une route escarpée
au bitume défoncé y mène. Le village
a lacuriosité de compter nombre de Népalais,
descendants de soldats de l'armée des Indes qui
luttèrent en Birmanie contre l’invasion japonaise
au cours de la deuxième guerre mondiale. La guerre
finie, ceux-ci décidèrent de s’installer
dans ces montagnes qui leur rappelaient leur pays mais
où, à l’époque, la vie y était
plus facile. Leurs descendants (plus de 2000 à
Kalau) parlent le népalais, mangent népalais,
sont hindouistes et se marient entre eux. Mais... pour
la plupart ne sont jamais allés au Népal.
Kalau est aussi le lieu d’un marché très
coloré (appelé le marché des 5 jours
car il tourne sur un rythme de cinq jours sur les 5 villages
principaux de la vallée) où les minorités
ethniques des montagnes environnantes viennent vendre
ou troquer les rares fruits et légumes qu’ils produisent.
C’est de Kalau que je suis parti en expédition
à la recherche des villages de minorités
ethniques (les Palaongs). Apres plusieurs heures de marche
dans les montagnes, je suis parvenu à un village
à flanc de coteau. Le village est bordé
de cultures, il s’agit de thé (culture qui a récemment
remplacé l’opium). Le principe de la culture en
terrasse n’est pas encore parvenu jusqu’ici. La Birmanie
ce n’est déjà pas bien riche, ce village
c’était la misère. Traditionnellement les
Palaong habitent à plusieurs familles par maison.
L’une d’elle très large abrite 14 familles et compte
10 chambres et une grande pièce commune. Généralement
les parents de chaque famille occupent une chambre et
les enfants dorment dans la pièce commune mais
certaines familles pauvres doivent même partager
leurs chambres. Le village a ses propres règles
qui sont appliquées de manière stricte (la
loi birmane n'a pas franchi ces montagnes) : les voleurs
et violeurs sont tués sur le champs. Si un Palaong
se marie avec une non-Palaong, il ne pourra pas construire
sa maison dans le village mais seulement à l’extérieur,
il est interdit de boire de l’alcool dans le village.
Le village compte une école, l’institutrice est
payée par le gouvernement birman mais ce sont les
villageois qui lui ont construit une maison (en dehors
du village) et lui fournissent sa nourriture. Leur peu
d’argent les Palaong le dépensent en offrande au
monastère, et au jeu...
Apres cette expédition, je suis allé me
reposer au bord des rives enchantées du Lac Inlay.
Un lac très large entoure de montagnes. Le lac
est célèbre pour ses rameurs unijambistes.
Des pêcheurs qui naviguent leur barque a la godille.
Ils tiennent en équilibre sur le pied gauche et
calent leur rame à l’intérieur de la cuisse
entre le genou et la plante des pieds. Ils rament ainsi
en faisant des 8 dans l’eau en équilibre sur leur
barque. C’est difficile à décrire mais très
impressionnant à observer. La pêche est bien
entendue ici pratiquée traditionnellement et le
poisson y est délicieux. La nourriture birmane
est d’ailleurs esquisse (contrairement à sa réputation),
notamment le porc a la moutarde.
Prochaine étape : le Viet Nam |
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