Petit
matin, gare de Tucson, Arizona : Etat du Sud Ouest américain, ses
trois millions d’habitants dont 10 % de “ naturales ”
descendants des indiens navajo, apaches, hopi. Arraché aux Mexicains
en 1848, l’Arizona est fédéré tardivement à l’Union en 1912. Le
48eme Etat est pacifié au prix de longues luttes contre les Apaches
originellement nomades, qui s’opposèrent farouchement aux colons
espagnols comme nord-américains.
Sur le quai pas un indien en vue. Mais un soleil de
plomb et une poussière brûlante, irritant une gorge déjà sèche.
Le climat aride râpe la peau. Quelques touristes s’apprêtent à grimper
dans une Cadillac. Le programme ? “ Shooter ” le Cimetière
des avions, pour filer vers le Nord sous des cieux tout aussi photogéniques (mais plus cinématographiques)
observer le plateau du Colorado et pourquoi pas, taper la discute
avec un clone du cow-boy Marlboro.
Dix “ desperados ” fly-cases et trompettes
en bandoulière descendent également, les yeux
rivés vers le Sud et ses longues étendues désertiques qui
séparent, avec le Rio Grande le Premier Monde du second. Là bas
périrent en 1999, près de quatre cents “ clandestins ”
Mexicains venus tenter leur chance au Nord.
Bizarrement leur wagon reste en gare, entouré par un
essein d’agents de la migration armés jusqu’aux dents. Vérification
faite les fly cases ne contiennent ni armes ni drogues. Les membres de cette joyeuse compagnie
aux allures de “ pistoleros ” sont des ressortissants
étasuniens ou disposent d’une “ green card ”. Leurs passeports indiquent une curieuse provenance, Calexico, qui ne figure sur aucune
carte du coin. Les agents fédéraux écarquillent les yeux à la vue
du tampon de la ville : un paradis musical sans complaisance battant
pavillon post rock et ayant
pour seul résident ces dix “ Calexicos ”.
Questions d’usage. “ Qui êtes vous ? Qu’allez vous faire
en ville ? Joueurs de cartes, vendeurs d’alcool frelatée... Vous
allez jouer dans le café colombien entre la cinquième et la huitième
rue, bon... Des clandestins à bord du wagon ? Non.. ”.
“ On va vérifier dans le wagon quand même ”.
Entre temps, resté en retrait on apprend que les deux
propriétaires d’origine irlandaise et italienne se prénomment John
(batterie) et Joey (guitares). Ils ont accompagné Vic Chesnutt et
Lisa Germano et ont sévi dans quelques sections rythmiques. A quelques
pas des deux comparses, l’homme à l’harmonica qui empêche les fédéraux
de tripatouiller les boutons du mini-studio c’est l’ingé-son, Craig
Schumacher. Les deux mariachis qui tentent d’expliquer que la bouteille
qu’ils ont en main, est remplie de Tequila et non de Peyote, ce
sont Ruben Moreno et Martin Wenk, deux “ chicanos ” amoureux
de Led Zep et de Janis Joplin. La fille un peu en retrait qui se
moquent des agents, c’est Marianne une française qui vient chanter
avec eux en fin d’après midi.
A l’intérieur, pas âme qui vive mais un délicieux capharnaüm.
De vieilles formules jaunies par le temps croupissent sous des amplis.
A la vue de ce qui ressemble à un labo musical clandestin les fédéraux
sont fous de rage. L’un : “ C’est quoi ce machin ? ”.
Tim Gallagher “ Un pedal Steel m’sieur, ça se joue assis ”.
L’autre : “ Et ce truc à piston ? ”. Rob Mazurek
: “ Un cornet ”. L’autre : “Un quoi... ? ”.
Un autre fédéral : “ Allez laisse tomber y a rien d’intéressant ”.
Affaire classée. Le groupe descend maintenant les instruments
direction le dit café colombien, donc quelque part entre la cinquième
et la huitième avenue du “ Hot Tucson ”. Là, le patron
les accueille à grands renforts de “ Olé, que tal ? ”.
Sympa. Les mariachis montés en cours de route sur l’album “ the
black light ” ont passé la “ frontera ” et font les
balances. Le reste du groupe décide de débuter le concert par une
partie d’ “ Hot Rail ”, leur dernier album. Le set commence
par un long plan séquence. Des rythmes castillans ou italiens font
ensuite les liens entre des chansons minimalistes ou très orchestrées,
lentes ou dynamiques. Les plans oscillent entre le panoramique et
la macro La balance des structures, des couleurs et de l’espace
s’équilibre lentement. L’alchimie se fait, mais sans précipitation.
Calexico alterne ensuite plongée et contre plongée pour dégringoler
avec un “ Fade ” très
free-jazz. La voix cristallise dès lors l’espace. Intuitive, elle
pose des images sur les rêves, les sons et les saveurs qui l’habitent.
Silence. Le set s’achève sur un long souffle. Celui des cheminots
qui à chaque rail posé, rendaient la conquête de l’Ouest de plus
en plus plausible. Celui du vent de Tucson qui a toujours les yeux
rivés sur de nouveaux horizons.
Dehors le soleil n’a pas molli. Il semble s’être étendu. Le
groupe des majorettes du troisième âge de Tucson défilent en rang
d’oignons répétant la célébration de la fête nationale. En arrière
plan, là-haut dans les montagnes, un Indien est interpellé en train
d’envoyer des signaux de fumée...
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