Ceux
qui ont écouté son premier mini album réalisé en 1998 ont retenu “ la
passion d’un chanteur qui “ construit en réaction à une misère
affective dont souffrirait l’Allemagne ” et ont reconnu “ un
Ben Harper plus obsédé par le reggae que par le blues ”. Deux
ans plus tard, Patrice présente son premier album fort de dix sept
chansons et s’approprie à merveille le poste laissé vaquant par un
Finley Quaye convalescent.
Patrice nous reçoit dans l’un des bureaux en “ open space ”
du building Sony. La tête plongée dans un magazine posé sur la table,
Patrice alias Batatunde (hommage à son grand père décédé le jour de
sa naissance) semble ne pas nous avoir remarqué et muet, poursuit
un temps sa lecture. Une curieuse manière finalement de présenter
ce “ Ancient Spirit ” qu’il a écrit et co-produit et où sa voix
reflète une énergie brute..
D’entrée de jeu Patrice temporise. “ En plein enregistrement,
on nous a demandé un disque de promo pour montrer ce qu’on savait
faire. Le ep a été fait en quelques jours et il a eu un écho favorable.
Cet album a nécessité deux ans de travail. On a découvert une méthode
de travail en commun que l’on a ensuite exploré au travers des
chansons que j’avais écrites.” Celui qui jusque là jouait seul à la
guitare avec un Dj dispose désormais d’une structure rythmique performante.
Un soutien musical familial certainement, canalisant sa fougue; un
guide spirituel peut être, balayant ses doutes en lui récitant les
suaves préceptes de Jah.
Le résultat ? Un reggae crossover à l’image de ses goûts éclectiques.
“ J’aime le côté harmonieux du Blues, les saveurs du jazz. La
soul c’est l’amour originelle, l’âme de ma musique (...) Je préférerai
être connu pour ce que je suis, pas pour un style de musique. Ou il
faudrait l’inventer. Il conviendrait à Finley Quaye. Mais les mots
ne suffisent pas à décrire une musique... ”.
Musicalement, Patrice étonne par sa maturité. Sa musique mélodieuse
et sensuelle régulée par une basse légère a l’énergie reggae, a pour
centre de gravité la voix. Ou plutôt des voix, omniprésentes, en choeur
ou a capella. Les influences culturelles sont perceptibles. La Jamaïque
est proche. Le patois de la Sierra Leone ne ressemble-t-il pas au
Jamaïcain ?
Curieux parcours que celui de ce reggae man allemand. Son
père écrivain, activiste originaire de Sierra Leone et fan de Billie
Holliday est contraint à l’exil et disparaît trop vite. Patrice
alors âgé de 11 ans plaque ses premiers accords. Habite la banlieue
de Cologne où les Africains et les étrangers sont peu nombreux.
Et très vite un frisson, et l’étrange sensation d’être cet “ étranger ”
toléré par son pays d’accueil. Barrière de la langue, choc des cultures
et une identité à construire. “ En Allemagne, il y a peu d’étrangers
de la deuxième et de la troisième génération. La majorité d’entre
eux n’est pas habituée à la culture allemande. Les Allemands nous
connaissent peu. Le racisme est assez présent. Les gens sont encore
surpris de voir un noir au volant d’une grosse voiture. Mais la
marginalisation se fait avant tout sur des critères sociaux. Les
riches d’un côté, les pauvres de l’autre. ! ”
Rapidement Patrice côtoie les rares soirées africaines et
lorgne du côté de la Sierra Leone paternelle. Une ancienne colonie
britannique grande comme le Portugal, qui a accueilli au milieu
du XIXeme siècle des affranchis venus de Jamaïque, eux mêmes descendants
des captifs issus des tribus africaines les plus belliqueuses :
guerriers Coromantee ou Zoubou constituaient une main d’oeuvre “ compétitive ”
pour les champs de cannes à sucre des îles de sa Majesté. A leur
retour les affranchis peupleront les côtes de la Sierra Leone et
Freetown capitale de l’actuelle République, indépendante depuis
1961. Une République aujourd’hui ravagée par neuf années de guerre
civile opposant les troupes rebelles de Foday Sankoh (ex caporal
de sa Majesté) et le pouvoir en place. Objectif inavouable le contrôle
des gisements diamantifères par les grand consortiums étrangers
d’Anvers et d’ailleurs. Bilan : 20 000 morts, un tiers de la population
déplacée, des centaines de mutilés (manche courte ou longue selon
la terminologie rebelle) et des accords de paix fragiles signés
à la hâte. De cette jeunesse en armes et en plein désarroi enrôlée
par Foday Sankoh, Patrice ne sait trop que penser. “ Ce n’est
pas rationnel, ils sont faciles à utiliser. Les rebelles ne représentent
rien. Les conflits sont crées artificiellement. Une guerre ça permet
de faire des choses facilement, de voler des diamants, de transporter
de la drogue, de laver de l’argent sale. C’est une situation idéale
pour s’enrichir ”.
Apatride, “ membre du village global ” Patrice récuse le
fardeau identitaire et entend bien délivrer le message universel rastafari
en “ broken English ”. “ Je ne veux pas m’ériger en
victime en considérant l’identité comme un problème. J’aurai été différent
sans tout cela. J’ai de la chance de pouvoir m’exprimer à travers
la musique. C’est une manière de changer les choses. ” Les
textes reflètent une colère brute, mélange d’exaspération et de haine
profonde contre Babylone, contre le système (C’est le cerveau de Washington
qui fait courir Babylone/ Mais quand les grands économistes s’expriment/
Même la Maison Blanche doit se résigner/ La mutation de l’Homme se
fait en réaction à leurs plans- Moneypulation). Dans ce dialogue avec
l’esprit des anciens, Patrice n’a pas seulement côtoyé l’inquiétude,
nourrie par une vision apocalyptique de l’Humanité plongée dans l’obscurité.
Les sages lui ont fait entrevoir une entité féerique où dixit Patrice
“ Jah, le dieu réel existe à travers nos mots et nos actions,
comme une vérité, comme une pensée ”. |