Pour
le centenaire de leur entreprise, les ouvriers Michelin ont
eu droit à un bout de meringue, un jus dorange et un
morceau du puzzle géant à reconstituer sous la forme du Bibendum
Certains sen souviennent comme de la « plus grande
bouffonnerie » quils aient vue dans leur existence.
Certains nont pas pris la peine de se déplacer pour
assister à cette pantalonnade méprisante de leur entreprise
à laquelle, pour la plupart, ils ont donné vingt ou trente
ans de leur vie. Des vies blessées qui défilent devant la
caméra de Jocelyne Lemaire-Darnaud qui, après voir lu Et
pourquoi pas ? le livre dentretien de Ivan
Levaï (complice complaisant de cet ouvrage) avec François
Michelin, frappée par les énormités prononcées, décide de
donner la parole aux ouvriers Michelin. Seule avec sa petite
caméra numérique, elle enregistrera lautre version,
celle quon entend peu, une version des faits rarement
relayée par les médias. Merci à Jean Labadie, distributeur
de films, davoir soutenue la réalisatrice, quand même
Arte et le CNC lui ont fermé la porte au nez
Le résultat
est « Paroles de Bibs » un film documentaire magnifique,
grosse claque de vérité en réponse aux inepties livresques
de François Michelin : « C'est étonnant de voir
à quel point le pneumatique est, pour beaucoup, quelque chose
de rond, noir, sale, et qui sent mauvais... Je puis vous assurer
que personne dans l'usine n'en a une telle vision " Face
à lobjectif de la caméra, un ouvrier qui travaille au
stock de pneus neufs, sans les toucher précise t-il, est obligé
de changer ses vêtements tous les soirs quand il rentre chez
lui, tant ils sont imprégnés de cette odeur de pneu qui sinfiltre
jusque dans les maisons voisines des usines. Il faut savoir
que chez Michelin, au bout de vingt-deux dancienneté,
on gagne la somme mirobolante de 7OOO FF (1070 euros) par
mois. Quant aux conditions de travail, elles sont révoltantes;
une ouvrière digne refuse de se faire chronométrer par un
garde-chiourme alors quelle est enceinte de six mois,
elle sera finalement licenciée après une septicémie provoquée
par une blessure lors de son travail. Un ouvrier au visage
meurtri avoue avoir vécu « trente ans de répression mentale ».
Un autre, plus jeune, sétonne de voir disparaître ses
collègues peu de temps après leur retraite. Des femmes travaillent
près de fourneaux où la température est de 50 degrés. Une
année les ouvriers demandent 1500 FF daugmentation,
François Michelin, ce grand capitaliste humaniste leur accorde
vingt centimes. Rien ne filtre chez Michelin, comme ailleurs,
on se sert de la peur pour contrôler et diviser. La réalisatrice
na pu avoir accès à lintérieur des usines, les
ouvriers qui ont accepté dêtre filmés sont syndiqués,
les autres auraient subi des représailles. Le jour de la
première du film à Clermont-Ferrand, une note interne destinée
à lencadrement de lentreprise signalait la projection
d'" un film mettant violemment en cause François Michelin.
Michelin ne souhaite pas s'exprimer sur ce film partisan.
" Une dernière citation de F.M. pour rigoler : « La
vérité est la seule séduction fondatrice. »
Jean-Luc
Bitton
Paroles
de Bibs
de Jocelyne Lemaire Darnaud - (Documentaire, 2001, France,
96, couleur et N&B, 35 mm, son DTS/SR)
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