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C’est
presque devenu un « marronnier » (1)
du petit monde des lettres, de se répandre en digressions sur ce
sujet inépuisable qu’est la profusion des romans publiés chaque
rentrée littéraire. Cette année n’échappe pas à la règle ;
661 bouquins se bousculent sur les tables des libraires qui s’arrachent
les cheveux. Quand on observe les médias lors de cette période agitée,
on s’aperçoit très vite que la critique littéraire est atteinte
de suivisme. Plus clairement, tout le monde parle des mêmes livres…comme
si parmi les 661 romans, seule une vingtaine d’entre eux mériteraient
quelques échos médiatiques. Un sentiment de compassion me gagne
quand je songe à tous ces auteurs abandonnés qui attendent désespérément
qu’un critique daigne jeter un œil sur leur prose. Un seul livre
m’est arrivé par la poste cette année. Je n’avais rien demandé.
Son auteur(e) me l’a envoyé avec une agréable dédicace. Je l’ai
lu et je l’ai aimé. Certainement pas est le dernier livre
de Chloé Delaume. Il ne raconte pas une histoire. Chloé Delaume
ne se raconte pas d’histoires, elle propose au lecteur une poupée
russe littéraire, sorte de mise en abyme où l’on se perd avec plaisir.
Chloé Delaume se fiche des règles de la ponctuation et de la syntaxe.
Tant mieux. Comme le notait le dramaturge Raymond Cousse, il faudrait
« détruire le langage, se l’arracher du cœur, tenter d’aller
voir ce qu’il y a derrière. » Il est impossible de résumer
certainement pas, je pourrais reprendre la quatrième de couverture
à l’instar de la critique paresseuse. Le mieux est d’offrir aux
lecteurs potentiels quelques extraits de ce récit labyrinthique
qui j’espère leur donneront l’envie de le lire dans son intégralité.
Tout d’abord, quelques secrets de fabrication littéraire :
« Les auteurs de romans commerciaux abusent des dialogues pour
trois raisons évidentes. 1. Les dialogues permettent tout bonnement
de rallonger la sauce, et par un jeu de mise en forme basique de
transformer un ouvrage à l’inacceptable format de 75 pages en un
objet atteignant les 128 réglementaires. Cette astuce, alliée à
l’utilisation d’une police de caractères 14 et à l’usage du double
interligne, sait rendre dodu et consommable le produit de divertissement
proposé au lecteur qui c’est connu en veut toujours pour son argent.
2. Les dialogues représentent pour les blagues un espace de prédilection.
Les auteurs de romans commerciaux doivent avoir un minois agréable,
du gel dans les cheveux et le sens de l’humour. On appelle ça la
règle des trois unités. 3. Les auteurs de romans commerciaux sont
nombreux à confier, si possible en public, qu’ils ont fait écrivain
à défaut de faire cinéaste. Plutôt que de se mettre au vert pour
rédiger un scénario et laisser tranquille la littérature qui ne
leur a rien demandé, ils développent benoîtement leur adorable script,
le ponctuant de dialogues qui ne sont pas sans rappeler le ton hautement
subversif des sitcoms d’AB Production. » De l’amour enfin :
« Mon cœur est un chien qui salive. Je n’attends pas qu’ils
m’aiment avant que je choisisse. Une fois que j’ai choisi, j’attaque
et je conclu. Une fois que j’ai conclu, j’ai besoin de souffrir,
pas trop mais un petit peu. Comme j’ai couru après j’ai beaucoup
fantasmé, voire même cristallisé je cristallise à une vitesse c’est
pas permis. » Une petite chute en fin d’article ? La réponse
est dans le titre.
Certainement
pas - Editions Verticales, 20 €.
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