Hier
soir j’ai lâché mon séquenceur et ma boîte à beats pour une
partie de foot sur la play-station de mon copain. Le rapport entre
une Dj en panne d’inspiration et une footeuse virtuelle magnant
du Zizou et du Thuram du bout de son joystick ?. Y’en a pas justement.
J’ai seulement passé la nuit à bidouiller une manette pour optimiser
mes shoots et mes passes et détruire de belle manière mon obsession
pour un foutu beat qui m’échappait. Les pétards aidant, la rage
a laissé place à une contemplation osée de l’écran. Je me suis endormi
la manette en main. Les beats inachevés ont raisonné toute
la nuit. Je me réveille souvent les yeux cernés.
Je suis Dj, revendique un avis sur tout, surtout sur les erreurs
à répétition figurant sur mes fiches de paie. Je prends un café
en écoutant du R&B F.M... comme tout le monde... dans
un café de coin pour tout le monde.
Je suis une DJ autoproduite concentrée sur le microsillon. C’est
pas un geste politique, ni une pointe d’orgueil ... encore moins
un refus du commercial. Je ne suis pas foncièrement sûr de moi.
.Et je ne comprends pas l’underground, puisqu’il est voué
à être « on the ground », c’est à dire à faire danser
des gens debout.
Je m’habille chez H&M parce que c’est commode et bon
marché. Passe pas mal de temps chez les disquaires dès que mon job
alimentaire me le permet et réussis à avoir une relation amoureuse
stable. Les (dé)faiseurs de tendance intégristes et puristes m’ennuient.
Ils voudraient que je (d’autres aussi) sois la hype, à la
fois la quintessence de la nouvelle culture et son avant garde.
Le leader d’opinion optimal. L’incarnation permanente d’un instant
que je serai (avec d’autres) capable de partager à n’importe quel
instant. Une transe ambulante télécommendable... un esthète retranché
dans une cabine minuscule, souvent prise en photo courbé sur une
platine, ou avec un casque énorme sur les oreilles à côté d’une
diva soul.
La
vérité c’est que je n’aime pas trop les genres et encore moins les
revendiquer. J’aime mon style étiqueté ou pas. Je n’ai pas le génie
ou l’envie d’être la hype, le son du moment à célébrer...
Une jusque boutiste alors ? Peut-être... mais pas assez conne pour
sacrifier ma diversité à la tendance qui voudrait que...
Je demeure curieuse et ne crois pas trop en la compétition, à la
concurrence...et leur prétendu effet euphorisant. Je ne ponds ni
des beats ni des concepts tous les jours. Je ne parle pas avec nostalgie
des premières raves et des premiers ecstas (qui étaient sûrement
plus forts à l’époque). Ca me préserve sûrement. .
Mon truc à moi c’est le « mix » et la production. Catégorie
moins de 55 kilos pour des créations « pressées vinyles »
destinées à d’autres DJs, parce que ce sont eux qui « contrôlent »
le dance floor, que ce soit en free party ou en club mais
pas encore dans les supermarchés où on achète six disques sur dix.
Je suis pas mauvaise danseuse même si j’ai la fâcheuse habitude
de gueuler sur la piste. Mon truc c’est la drum n’bass boostée
par une basse surpuissante, d’où mon côté rat de studio ou de discothèque
(les cernes...). Quand la sauce prend une douce euphorie qui me
pénètre. Dès
que les ligths s’enclenchent j’ai des airs de collégienne.
Mes doigts glissent copieusement sur les vinyles, les beats s’enchaînent
nerveusement, les rythmes s’emmêlent généreusement et la programmation
prend un sens... unique et éphémère. Transcendantale. La piste répond,
vocifère, évacue. Je communique mix après mix. De curieuses silhouettes
entre chien et loup semblent en réclamer plus. Patiemment je m’exécute.
Une spirale jusqu’ici plaquée sur mes disques enroule le public.
Ils m’écoutent. Le soulagement est à chaque fois infernal, un
peu comme si à chaque soirée réussie on m’apprenait que mon copain
était dégagé des obligations militaires. Ca ressemble à une curieuse
sensation de liberté, s’apparente à de beaux jours dédiée à la création,
pour peu à peu structurer mon label, signer quelques artistes, multiplier
les contacts avec les musiciens et mixer en club. Mais pour l’instant
l’autoproduite payer au black doit encore travailler à côté. Probablement
pour me persuader que l’alimentaire... c’est du provisoire. Que
l’attitude, le glam c’est bon pour les manchettes tapageuses
de la presse électro-rock. Que ça ne correspond pas à la vraie vie.
Voilà, je voulais vous expliquer pourquoi j’avais arraché mes posters
de Morrissey et déserté les salles de concerts pour les clubs. J’espère
que vous comprenez mieux. C’est pas nécessairement une question
d’ego, d’attitude, de fringues et de mode. J’aime simplement rester
dans l’ombre... d’une pochette comme d’une discothèque sans aucune
revendication du « bon goût ».
Dj Haroon
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