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Carnets
sur la route d'Asie |
[2]
Les routes de l'Himalaya ou le difficile
apprentissage du 'trekking' |
par
Nicolas
Lenoir |
Le
plan était pourtant simple : nous devions prendre l'avion
jusqu'a Manang a plus de 3400m d'altitude puis marcher jusqu'a
Thorung Phedi pour passer le Thorung La, un col a 5400 m d'altitude
(soit plus haut que le Mont-Blanc qui n'est qu'a 4800m) et enfin
descendre de l'autre cote de la montagne. Au total la randonnée
(pour faire 'in', on dit trekking ça fait mieux mais
c'est la même chose) devait durer une dizaine de jours.
En raison de la hauteur, le passage du col devait se faire avec
l'aide de porteurs. La réalité fut légèrement
différente, je vous livre comme témoignage l'extrait
de mon carnet de voyage |
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Lundi 29 novembre 1999 |
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Départ
pour Pokhara, 170 km de Katmandu, 7 heures de
bus et pourtant dieu erci c'est un bus express.
Les Népalais ne sont pas grands, leur bus
non plus, mes genoux comprimés contre le
siège avant dans le bus crient au martyr…
La beauté de Pokhara me fait oublier la
pénibilité du voyage, le site est
charmant, petite ville bien calme au bord d'un
lac ravissant domine par l'Himalaya et notamment
le fameux massif des Annapurna (4 montagnes grandioses).
Quel plaisir de débarquer à Pokhara
et de quitter ainsi la pollution de Katmandu !
La température est agréable une
vingtaine de degrés de jour, entre 5 et
10 la nuit.
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Mardi
30 novembre 1999 |
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Je
dois retrouver à l'aéroport mes
acolytes de fortune pour cette aventure. Nous
devons prendre un vol sur Royal Air Népal
qui nous amènera directement a Manang,
petit village perche dans la montagne. Ce vol
nous épargne la montée fastidieuse
et la partie la moins intéressante du trek.
Nous constatons avec surprise que, mis à
part un Lama, nous sommes les seuls passagers
du vol. L'aéroport de Pokhara est de toute
façon loin d'être un aéroport
international… En regardant, la piste unique je
m'aperçois que la majorité des vols
ne sont pas effectues par des avions mais par
des hélicoptères.
J'interroge tant bien que mal un employé
de l'aéroport qui m'explique que ces hélicoptères
qui comportent 14 a 20 places ont été
rachetés à l'armée russe
qui les utilisait pendant la guerre en Afghanistan!!
Légèrement inquiet (c'est un euphémisme),
j'attends d'embarquer pour constater avec soulagement
que nous aurons le droit à un vrai avion
: petit coucou à hélice, avec une
dizaine de places. Le copilote qui fait aussi
office de steward nous donne bonbons et coton.
Interloque, je regarde mon ami le Lama et découvre
que le coton sert à protéger les
oreilles contre le bruit du moteur. A peine ai-je
le temps de boucler ma ceinture que nous voila
partis, quel vol palpitant !!
Nous
volons droit vers les montagnes, je suis à
la fois fascine par la beauté du paysage
et terrorise. Nous volons littéralement
entre les montagnes, certaines sont si hautes
que l'avion n’atteint même pas leurs sommets.
Heureusement la visibilité est excellente,
je n'ose même pas imaginer le même
vol par temps de brouillard…. Nous passons parfois
si près de certaines montagnes que j'ai
l'impression qu'un souffle de vent nous projetterait
contre leurs flancs. Enfin malgré nos appréhensions
nous arrivons après 45 minutes de vol a
l'aérodrome de Manang à 3200 m d'altitude.
En 45 minutes, nous sommes passes de 600 a 3200
m, c'est beaucoup. On nous a prévenus,
notre pire ennemi sera le 'mal des montagnes',
qui peut avoir des conséquences mortelles…
Encore à moitié tremblant suite
au vol, je sors de l'appareil et suis littéralement
aveugle par l'intensité lumineuse. Quel
soleil, même avec des lunettes de soleil
la luminosité est extrêmement forte.
Le paysage est époustouflant, les montagnes
majestueuses entourent le petit aérodrome
Quel spectacle, c'est inoubliable !
Par contre, mon corps se laisse moins facilement
subjuguer et me rappelle douloureusement que nous
sommes très haut, j'éprouve une
certaine difficulté à respirer,
et mon sac (qui ne pèse qu'une dizaine
de kilo) qui me paraissait si léger en
bas, me semble soudainement aussi lourd qu'une
enclume. Je m'estime cependant bien loti et mieux
réagir qu'un de mes compagnons de route
qui célèbre notre arrivée
dans les sommets en rendant son petit déjeuner…
Aucun de nous n'en mène large, l'acclimatation
à l'altitude n' est pas aisée. Après
avoir pris un thé, nous décidons
de nous diriger vers notre première étape,
un petit village tibétain, Manang à
3400 m, et selon les autochtones à moins
de 2 heures de marche.
Cette marche de l'aéroport au village de
Manang est d'une difficulté extrême,
certes les paysages sont grandioses, uniques,
mais les difficultés liées a l'altitude
ne le sont pas moins. Chaque pas est une victoire
sur soi même, l'air est extrêmement
sec, l'effort épuisant, les sacs trop lourds,
la marche nous prend plus de 3 heures et c'est
littéralement vidés que nous arrivons
à Manang.
De là, nous avons une vue sur toute la
vallée dont les paysages sont magnifiques
: crêtes enneigées, monastères
perchés, aiguilles de glace, torrents turquoises,
stupas, et bien sur yacks et chevaux du Mustang.
La ville faite de pierre est typique de l'architecture
tibétaine. Par certains cotes, elle me
rappelle un peu ces hauts villages perchés
tout de pierre du Luberon.
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Mercredi
1 décembre 99 |
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La
nuit a été réparatrice et
je me sens en pleine forme pour affronter les
pics… Mes compagnons semblent aussi s'être
remis et nous décidons de partir pour notre
prochaine étape : Ledtar à 4200
m d'altitude. Le soleil est bien entendu toujours
au rendez-vous, les paysages aussi magnifiques
et m'étant un peu acclimaté, mon
sac à dos ne me parait plus aussi lourd,
j'ai le souffle moins coupé. Nous traversons
villages bouddhistes avec leurs fameux moulins
à prière, stupas, drapeaux à
prière La route est jalonnée de
nombreuses 'tea houses' où nous nous réchauffons
régulièrement autour d'un thé
au beurre de yack. Les habitants de ces hautes
montagnes sont d'une gentillesse remarquable…
Je constate qu’avec l'altitude les prix se sont
envolés. Le cours de la bouteille d'eau
qui était de 20 roupies en bas et 60 à
l’aérodrome est maintenant à 80.
Le cours du coca-cola flambe également.
Même en haut de l'Himalaya, la petite bouteille
noire est omniprésente. C'est incroyable.
Notre forme physique n'est tout de même
pas aussi bonne que ce que nous avions prévu,
et épuisés nous décidons
de nous arrêter à Yakarka, un minuscule
village perché à 4000 m d'altitude.
La nuit tombe rapidement vers 17 heures et avec
la nuit l'atmosphère devient glaciale.
Il n'y a pas d'électricité, pas
d'eau courante, pas de feu. Bref la soirée
parait longue, et faute d'autre occupation, je
me couche vers 19h30 dans une chambre glacée
sans chauffage.
Réveillé vers 1heure du matin, en
raison de troubles du sommeil lié au mal
des montagnes, j'ai toute la nuit pour apprécier
de ma fenêtre la beauté du ciel étoilé
que je n'ai jamais vu de si haut et si dégagé.
C'est un spectacle enchanteur que de voir ces
étoiles scintillées de mille feux
par cette nuit si claire. La lune se lève
tardivement vers 3 heures du matin.
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Jeudi
2 décembre 99 |
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Pour
mes compagnons la nuit a également été
difficile, nous pensons que nous sommes montés
trop rapidement et n'avons pas assez pris le temps
de nous acclimater à l'altitude. Nous décidons
donc de faire une étape très petite
et de ne monter qu'à 4200 m à Ledtar.
La marche est difficile, le terrain rocailleux,
les paysages beaucoup plus désolés,
la végétation se fait maintenant
très tard, par contre les troupeaux de
yaks sont encore nombreux.
Les
tea houses se font plus rares, et même de
jour la température commence à être
fraîche. Le sol est gelé jusqu'au
début après midi. Les montagnes
sont toujours aussi impressionnantes mais l'air
toujours aussi sec et les sacs difficiles à
porter. Nous arrivons à bout de souffle
à Ledtar. Là encore ni électricité,
ni eau courante, le soleil commence à se
coucher et le froid nous pénètre.
La nuit sera encore longue, notre enthousiasme
commence à fléchir. Et ce d'autant
plus que nous avons croisé de nombreuses
personnes qui rebroussaient chemin en raison de
la difficulté, du mal des montagnes, du
froid, etc.…
Dans les auberges, les tea houses nous lisons
des mises en garde contre les risques du mal des
montagnes, qui si on n’y prend pas garde peut
entraîner un œdème du cerveau et
donc la mort !! Nous constatons avec angoisse
que nous avons déjà des signes mineurs
: troubles du sommeil, difficultés respiratoires,
troubles intestinaux, perte d'appétit pour
certains. Un document attire particulièrement
notre attention qui signale qu'un signe significatif
est le pouls, si le pouls dépasse 100 au
repos, c'est un symptôme du mal des montagnes
et qu'une redescende s'impose.
La nuit tombe encore vers 17 heures, les étoiles
sont toujours aussi belles mais le froid toujours
aussi intense, le feu absent, je me couche donc
encore une fois de bonne heure, devenu un peu
parano suite à tout ce que j'ai lu sur
le mal des montagnes. Là encore je me réveille
au milieu de la nuit pris d'insomnie et sujet
à un mal de tête, pris d'une crise
angoisse, je vérifie avec anxiété
mon pouls et constate avec horreur que celui-ci
est à 102. Il m'est alors impossible de
me redormir.
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Vendredi 3 décembre 99 |
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J'ai
décidé de renoncer à passer
le Thorung La. Je pourrai redescendre à
Yakarka et y passer un jour d'acclimatation puis
remonter mais je n'ai pas le courage de passer
encore une nuit glaciale, une journée d'inaction,
une soirée mortelle. Notre groupe se sépare,
je ne suis pas le seul à vouloir redescendre.
Nous sommes montés en avion, nous ferons
toute la redescende à pied. A la monté,
il faut compter une dizaine de jours, nous espérons
pouvoir y parvenir en 4 jours. Lever vers 6 heures,
et la redescende à un train d'enfercommence.
Je veux quitter les hauteurs qui me causent tous
ces dérangements le plus rapidement possible.
En une journée, nous faisons l'équivalent
de plus de deux étapes de montée.
Les paysages sont encore différents : nous
laissons ces superbes montagnes dans notre dos,
et retrouvons progressivement la végétation,
des paysages boisés, davantage de monde
sur les routes, les cortèges de mules apportant
vivres et provisions dans les hauteurs se font
plus nombreux. Le vent se fait cependant plus
fort et la vallée plus étroite.
Nous arrivons le soir à Pisang, encore
un village de pierre haut perché sur le
flanc ensoleillé de la vallée à
3200 m Nous avons bien descendu, je me sens déjà
beaucoup mieux, moins oppressé. Nous logeons
chez l'habitant dans une vieille maison traditionnelle.
Avec bonheur nous retrouvons électricité.
Nous pouvons jouer aux cartes, la soirée
parait moins longue, la nuit est réparatrice
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Samedi
4 décembre 99 |
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Ce
matin j'ai pris ma première douche depuis
le départ du trek, sur la terrasse à
ciel ouvert de mon hôtesse. Le vent était
glacial, l'eau à peine chaude (pas d'eau
courante c’était un seau avec de l'eau
chauffée sur le feu), mais je n'avais pour
seul vis à vis que l'Annapurna... On se
sent bien petit…
La descente continue, à travers une forêt,
quelques nuages commencent à apparaître,
l'intensité lumineuse est moins forte,
les chemins escarpés longent parfois des
précipices inquiétants. A plusieurs
centaines de mètres plus bas coule la rivière
tumultueuse, un faux pas et c'est la fin… Tout
va bien jusqu'a ce que nous croisions des mules
qui montent, le chemin n'est vraiment pas large
à cet endroit et les mules sans douceur,
elles mes serrent contre le bord du chemin et
je passe quelques minutes inquiétantes
!!! La journée est longue plus de 8 heures
de marche comme hier. Nous perdons le chemin principal
et nous retrouvons sur un chemin périphérique
qui rallonge sensiblement notre route. Nous devons
descendre à flanc de falaise pendant près
d 'une demi-heure pour le retrouver. Nous arrivons
finalement épuisés à Baggarchap
un village typiquement népalais sans électricité.
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Dimanche
5 décembre 99 |
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Lever
matinal. Nous continuons notre descente rapide,
de longues journées de marche, nous sommes
maintenant à moins de 2000m d'altitude
et les symptômes du mal des montagnes ont
totalement disparu. Je me sens beaucoup mieux.
Le sentier est en mauvais état, éboulé
par certains endroits, très rocailleux
par d'autres, même la descente est fatigante,
surtout qu'elle n'est pas régulière.
Les colonnes de mules sont maintenant très
nombreuses et ralentissement notre progression.
Elles sont surchargées. Nous qui trouvions
ces rencontres très typiques et charmantes,
ne supportons plus d'entendre les clochettes des
mules qui résonnent dans la montagne et
annoncent leur arrivée imminente. Les muletiers
ne sont pas tendres avec leurs mules et on sent
parfois qu'ils aimeraient volontiers pouvoir traiter
les randonneurs qui osent marcher sur 'leur sentier'
de la même manière.
Nous croisons aussi nombre de porteurs (souvent
des Sherpas, une ethnie minoritaire qui vit dans
les montagnes). Ces porteurs portent sur les dos
des charges incroyables, des sacs de riz, 3 ou
4 sacs à dos de touristes fainéants,
mais aussi des choses insolites comme des planches
ou des tuyaux de canalisation. Le trafic entre
les porteurs et les mules est incessant, quelle
agitation dans ces montagnes !! Ces porteurs portent
généralement des tongs, voire même
pieds nus pour certains… je pense que certaines
mules ont un sort parfois plus enviable que ces
malheureux porteurs. Nous arrivons à Syange
juste avant la tombée de la nuit. Là
encore un village au bord de la rivière
et sans électricité
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Lundi
6 décembre 99 |
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Comme
d'habitude, départ de bonne heure. Nous
commençons la journée en traversant
un immense pont suspendu, je me crois presque
Indiana Jones tellement le pont est impressionnant.
Notre progression est maintenant plus rapide car
le terrain est moins accidenté et surtout
moins rocailleux. Par contre, les jours de marche
effrénés précédents
commencent à se faire sentir notamment
dans les mollets. Nous arrivons finalement épuisés
mais heureux à Bessi Saar dernière
étape du trek.
De
là, nous prenons un bus pour Dumre. Le
bus emprunte une route ou plutôt devrais-je
dire une piste serpentée au bord d'un précipice.
Je suis terrorise c'est pire que l'avion. Les
Népalais eux, qui empruntent ce bus régulièrement,
sont blasés et indifférents et préfèrent
regarder un film indien qui passe dans le bus.
Le film est pitoyable, mélange de série
B, de mélo, de cascade et de comédie
musicale et le tout en hindi langue que même
les Népalais ne comprennent pas ce qui
ne les empêchent de participer bruyamment
au film. Finalement, nous finissons par arriver
à Dumre, village champignon, construit
sur le long de la route unique principale qui
relie Katmandu à Pokara. Mais quel plaisir
après une semaine d'isolement de retrouver
la pollution, le bruit, et électricité…
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Mardi
7 décembre 99 |
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Après
une nuit pénible à Dumre dans une
chambre minuscule coincée entre les toilettes
aux odeurs indescriptibles et la fenêtre
qui donnait sur la route principale empruntée
toute la nuit par des camions, je prends le car
pour Katmandu. Le bus express devrait ne mettre
que 5 heures pour faire les 110 km. Malheureusement,
le trajet dure 8 heures car nous sommes immobilisés
plus de 3 heures, un camion chargé d'essence
étant renversé sur la route. L'accident
s'est produit ce matin à 6 heures, le trafic
a donc été coupé pendant
toute la matinée provoquant de part et
d'autre de la route un bouchon de bus et de camions
sur plusieurs dizaines de kilomètres. Quand
le trafic est finalement rétabli c'est
la foire d'empoigne, chacun veut rattraper son
retard, et bus et camion se doublent alors qu'en
face débouchent d'autres bus et camions
sur des routes à coté desquelles
nos petites routes de Corse font figures d'autoroutes.
Les accidents sont évités par miracle.
Et là je me dis que finalement la marche
à pied et le trekking, même s'il
fait froid et que les conditions sont rudes ce
n'est pas si mal…
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