"Quand
le Conquistador blanc aura la feuille de Coca entre les mains
il trouvera seulement en elle venin pour son corps et folie
pour son esprit" prophétise la légende de la Coca.
Objet de tant de polémiques et de convoitises, la coca
nŽest pas un psychotrope mais une plante vertueuse dont la culture
sŽest maintenue durant des millénaires. Malgré
la Conquête. Malgré un acharnement thérapeutique
douteux visant à lŽéliminer. Partant du célèbre
axiome cocalero (producteur de coca) "la feuille de coca
nŽest pas une drogue", le Musée de la Coca de La Paz
propose un voyage virtuel sur les chemins sinueux et accidentés
de cette plante millénaire, indissociable de la culture
bolivienne.
LŽinitiative du Musée de la Coca est étrangement
privée, cŽest à dire non subventionnée
par lŽEtat. Surprenant pour un pays qui, avec son voisin péruvien
est lŽunique endroit au monde où la production et la
commercialisation de la feuille de coca sont légales
et jusquŽà un certain point controlées. Le marché
légal de la coca de La Paz faisant foi.
Au départ de ce projet indépendant devenu réalité
en 1997, Le Dr Jorge Hurtado, psychiatre spécialisé
dans le traitement de lŽaddiction à la cocaine. En matière
de défense de lŽexception culturelle végétale
bolivienne, lŽhomme nŽen est pas à son premier fait dŽarme.
En 1983, il propose lŽindustrialisation des produits dérivés
de la coca. Ce nŽest que 5 ans plus tard que la loi autorisera
leur industrialisation. AujourdŽhui de congrès en colloques
médicaux le psychiatre expose son traitement de la dépendance
à la cocaine : un suivi psychiatrique allié à
la prise de pastilles de coca censées reproduire lŽorgasme
chimique qui provoque lŽaccoutumance psychologique à
la cocaïne. Convaincu du bien fondé de ses recherches,
Jorge Hurtado ne cache pas pour autant son étonnement
face à la civilisation moderne qui pour la première
fois dans lŽhistoire de lŽHumanité "a interdit une maladie
et lui a déclaré une guerre tout azimut". La traduction
législative bolivienne de cette réalité
est lŽarticle 61 de la loi 1008. Un médecin bolivien
est ainsi tenu dinformer les autorités compétentes
quŽil soigne un toxicomane.
Le musée ne fait pas pour autant état de lŽexpérience
menée par le psychiatre. Tout comme il se refuse à
endosser lŽhabit dŽun Quichotte défenseur de la coca,
le Dr Hurtado préfère la lutte contre lŽignorance
et lŽintolérance, au prosélytisme. Son cheval
de bataille est une interrogation. Pourquoi une plante, pierre
angulaire dŽune civilisation millénaire aux vertus médicinales
et nutritionnelles scientifiquement prouvées, sera-t-elle
convoitée et utilisée par lŽOccident, pour être
ensuite diabolisée et menacée dŽextinction ? Ce
parti pris et cet engagement éthique pour une certaine
transparence se reflètent dans la partie du musée
consacrée à la prévention. Considérant
que la curiosité attisée par le secret est lŽun
des chemins qui mènent aux drogues, le voile est donc
levé sur la cocaine, sa fabrication et ses effets dévastateurs
sur le consommateur.
Soucieux de soigner la schizophrénie qui ronge la coca
et nŽen finit pas de la confondre à lun de ses produits
dérivés , la cocaïne, le Dr Hurtado souhaite
mettre le circuit coca-cocaïne à lŽépreuve
de la science : quŽelle soit médicale, historique, sociologique
ou anthropologique. La thérapie ? Un musée pour
pour systématiser les recherches et éradiquer
le mélange des genres. En collaboration avec le sociologue
Javier Castro, sŽensuit un lourd travail de compilation de textes,
photos, produits... ayant trait à la coca et à
la cocaïne. Le premier essai nŽest pas un coup de maître.
LŽespace restreint est mal maîtrisé et le visiteur
est asphyxié par un surplus dinformations et par un
non moins réel manque de moyens financiers.
Deux ans plus tard et sous la houlette dŽAlexandre Chinon, jeune
designer français, le Musée de la Coca prend un
nouvel élan. Devient enfin lisible, tout en étant
plus complet. 200 photos et autant de "légendes", des
manequins illuminés et dŽauthentiques antiquités,
ainsi que 17 panneaux dont certains à "double-face",
(psych)analysent lŽincestueux couple coca-cocaine fruit dŽun
mariage incestueux et arrangé entre ume mère naturelle
et de ses enfants, chimique et moléculairement modifié.
La forme de communiquer est sciemment pédagogique et
synthétique. Loin dŽêtre didactique cette illustration
du circuit coca-cocaine permet lŽimmersion dans les eaux troubles
du Grand Vert, un feuilleton aux grosses ficelles que lŽon affublerait
dŽ un tragi-comique douteux sŽil nŽétait pas réel.
La trame du dit feuilleton nŽa rien à envier aux télénovelas
: Passion, violence, autodestruction et Coca Cola dŽun côté,
tradition, excédent, défense et Coca de lŽautre,
font à peine office de bande annonce. La production digne
dŽun péplum se veut Hollywoodienne. Sur le plateau, chercheurs,
médecins occidentaux ou autochtones, industriels, chimistes,
politiques, banquiers, militaires, narcotraficants, cocainomen
du Nord, paysans producteurs et (ou) consommateurs de coca du
Sud, argent sale, billets verts lisent et ne jurent que par
une seule feuille tout aussi verte, la coca métamorphosée
ou non en poussière blanche.
Tout est ici question dŽinterprétation. Finalement le
problème vient-t-il de lŽoffre (le paysan de pays "émergeants")
ou de la demande (le cocainoman du premier monde) ? Le Musée
donne quelques élements de réflexion en anglais,
allemand et français mais se garde de répondre.
Au visiteur de se faire son idée et le cas échéant
de consulter le guide, en passe de devenir Yatiri.
Mais
pour ne pas rater lŽimmersion par manque dŽoxygénation,
rien de tel quŽun bonbon de coca gracieusement offert, pour
remonter un à un les maillons de la chaîne coca-cocaine.
Elements complémentaires : Or blanc et billets verts.
La plante de coca est utilisée depuis environ 4500
ans et fait partie de la diète des populations de lŽEmpire
Inca qui en controlait la production et la commercialisation.
A la Conquête lŽusage de la plante est dŽabord condamnée
par le premier Conseil Eclésiastique de Lima. Verdict
: la coca est diabolique et est un obstacle à lŽévangélisation.
Quelques années plus tard Philippe II dŽEspagne déclare
la coca "indispensable pour le bien-être des Indiens.".
En réalité la Couronne a compris que la coca
permet de supporter les travaux difficiles en hautes altitudes.
Elle seule permettra de maintenir le rendement des milliers
dŽIndiens forcés à extraire lŽargent de la mine
de la ville de Potosi. En 1630 le nerf du royaume dŽEspagne
est aussi la plus grande du monde. Potosi compte alors quatre
fois plus dŽhabitants quŽà Paris. La production et
la commercialisation du " Talisman du Diable" est aux mains
des Espagnols. La production de la coca est en plein boom
et devient une valeur dŽéchange se substituant à
lŽor. A lŽindépendance la Bolivie récupérera
le contrôle de la production de coca.
En ce début de troisième millénaire,
lŽ"Acullicu", acte de mâcher de la coca lors dŽactes
sociaux ou pour aller travailler, est encore au coeur de la
vie des populations andines. Element spirituel et religieux,
la coca est ausii offerte à la Pacha Mama (Terre Mère)
pour la remercier d`une bonne récolte. Lors du "Kintu"
(messe andine) les "Yatiris" (sacerdotes aymaras) lisent lŽavenir
entres ses fibres. La coca tient aussi une bonne place dans
la pharmacopée traditionelle andine. Elle est par exemple
administrée en maté (infusion) en cas de problèmes
digestifs, ou en cataplasme pour soigner les fractures. Riches
en vitamines, calciun, fer et phosphore, elle constitue également
un refuge alimentaire pour des populations dont la diète
est essentiellement composée de tubercules.
Si depuis des millénaires les populations andines mâchent
la feuille de coca pour tromper la faim, résister au
froid et supporter le travail et la vie en altitude, lŽhomme
blanc sait depuis seulement un siècle environ en extraire
la pâte basique qui une fois raffinée, sert à
produire le chlorydrate de cocaïne. Le cours naturel
de la coca est en effet modifiée en 1880, date à
laquelle le chimiste allemand A. Niemman extrait le premier
un des alcoïdes de la coca, la cocaine. LŽusage préconisé
? Anesthésiant occulaire et dentaire. NŽempëche,
en 1884, Freud est officiellement le premier inhalateur de
cocaïne. Depuis, lŽor blanc a pris un poids considérable
dans lŽéconomie latinoméricaine et mondiale.
Alan Garcia président du Pérou de 1985 à
1990 remarque que lŽindustrie de la drogue est "lŽunique transnationale
performante dŽAmérique Latine". Chiffre dŽaffaire annuel
"estimé" par lŽOEA (Organisation des Etats Américains)
: 150 à 200 milliards de dollar. 33 fois le PNB bolivien
ou lŽéquivalent de la dette extérieure brésilienne
en 1996.
Le trafic de drogue demeure un problème global au continent
américain. Tous les pays (Caraïbes inclues) sont
des succursales dŽune multinationale dont la commercialisation
est lŽunique activité centralisée . QuŽil sŽagisse
de la culture de coca, de la production de pâte basique,
du raffinage de cocaïne, de son acheminement, de sa commercialisation
ou du blanchiment de ses profits. De sorte que le terme narco
est accolé à chaque élément sociopolitique
: narcodémocratie, narcodollar, narcoguérilla,
narcopolitique, narcotrafic, narcocorruption, narcoingérance,
narcoguerre,... Cette dernière est officiellement depuis
1987 et la conférence de Vienne qui réunit 130
pays, lŽobjet dŽune profonde polémique : quels moyens
peuvent-ils être mis en oeuvre pour limiter l`expansion
du trafic de drogue. ? Qui tenir pour responsable ? LŽoffre
ou la demande ?
Au coeur de la discorde, les Etats Unis dŽAmérique.
5 % de la population mondiale et 16 millions dŽ"addicts" qui
consomment 50 % de la cocaine produite mondialement (environ
300 tonnes). Montant annuel des dépenses 50 milliards
de dollar. Malgré tout, lŽOncle Sam est persuadé
que la lutte contre la narcotrafic repose sur une localisation
des cultures illicites de coca et leur éradiquation,
le repérage et la destruction des laboratoires clandestins
de production de cocaïne, ainsi que le contrôle
des routes dŽacheminement de la drogue. Tout ceci en territoire
étranger et parfois sans lŽacoord des pays dans le
collimateur de Washington. Ces mêmes pays sŽinsurgent
quant à eux, contre lŽingérence dans leur politique
intérieure et le refus étatsunien de "diminuer"
sa propre consommation en soignant ses malades. Bolivie, Pérou
et Colombie plaident en particulier pour une reconversion
des cultures illicites de coca.
En Bolivie comme dans le reste du sous-continent, le développement
du trafic de drogue coincide avec un boom de la consomation
mondiale de cocaine et sŽinscrit sur fonds de crise économique
généralisée. Au début des années
80, les prix des deux principaux produits dŽexportation boliviens,
lŽétain et les hydrocarbures, sont en chute libre.
En 1985, les prix de lŽétain nŽétant plus soutenus,
la COMIBOL (entreprise minière bolivienne -nationalisée)
se " restructure" et met à pied 23 000 travailleurs
sur 25 000. Jamais prise en charge par lŽEtat, la reconversion
de ses travailleurs premiers macheurs de feuille de coca,
ne sera jamais que géographique. Presque condamnés
à mourir de faim, les mineurs les plus jeunes deviennent
producteurs de coca dans la zone amazonienne du Chaparé.
Le phénomène sŽexplique par deux facteurs La
demande de coca est forte et les "narcos" ont monté
des réseaux (laboratoire, acheminement...) dans cette
ímmense forêt tropicale. Jamais les autres produits
agricoles ne généreront des revenus aussi élevés.
Le revenu moyen dŽun cocaléro est estimé alors
à 1200 dollars par an ( quatre fois le revenu moyen
national). Un hectare de coca qui est récolté
trois ou quatre fois par an, peut rapporter jusquŽau double
dŽun hectare de cacao. Ou lŽéquivalent de la vente
de 400 000 oranges.
A la fin des années 90, 90 % de la coca bolivienne
presquŽentièrement dans le Chaparé est déclarée
illicite.Pour influer la politique anti-drogue bolivienne,
les Etas Unis disposent dŽune arme magique : la certification.
Une sorte de prix dŽexcellence qui conditionne lŽaide bilatérale
de Washington et qui récompense financièrement
les pays ayant suivi les recommandations de lutte anti-drogue
états-unniene. LŽessentiel de la lutte bolivienne se
portent donc sur les 26 000 producteurs de coca du Chapare
et lŽerradication de leurs "cocales". LŽabsence de cultures
de substitutions viables et productives rend le climat social
explosif. En 1998, les affrontements entre cocaléros
refusant lŽéradiquation de leurs "cocales"
et les forces armées boliviennes feront 18 victimes.
Depuis 1997 et photos satellites à lŽappui, 31 227
hectares de coca auraient été éradiqués.
La possibilité dŽélaboration de cocaine aurait
baissé à 70 tonnes métriques contre 240
en 1995. 7000 hectares resteraient à éradiquer
dans le Chaparé et 2300 dans la zone de production
des Yungas de La Paz où 12 000 hectares de coca sont
autorisés par la loi. Ses résultats jugés
positifs seront-ils accompagnés dŽun développement
de cultures ou d`activités alternatives à la
feuille de coca, condition sine qua non de la fin du narcotrafic
? Le mystère demeure entier dans le pays aux 5 frontières
tellement perméables.
|