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Cajamarca,
début janvier. Soleil au zénith et des enfants
profitant des derniers jours les séparant de la rentrée,
pour se lancer des ballons de baudruche gorgés dŽeau.
Le Carnaval ne débute que dans un mois et demi mais
Cajamarca en est la capitale nationale. DŽoù une certaine
avance dans la célébration des festivités.
Incarnation du Pérou profond, oublié et marginalisé
par le centralisme limeño, Cajarmaca nŽest pas seulement
lŽavant garde carnavalesque péruvienne. Le département
fut lŽun des rares à se soulever contre la dictature
de Leguía. A la fin des années 70, le développement
spontané de rondes paysannes empêchera, lŽimplantation
dans la région du Sentier Lumineux : une guérilla
dŽinspiration maoïste, déterminée à
conscientiser le paysannat, pour mener une guérilla
fratricide de la campagne à la ville et prendre le
pouvoir par les armes. Cet apport décisif et méconnu
à la déroute du Sentier Lumineux consolide néanmoins
la réputation des gens du cru : travailleurs, orgueilleux,
énergiques avec en prime un curieux accent méxicain.
Située à 2700 metres dŽaltitude la région
fut lŽépicentre de la civilisation Cajarmaca, qui atteint
son apogée entre 500 et 1000 apres J.C., avant dŽêtre
annexée par lŽEmpire Inca. Ce dernier prit fin ici
même, avec lŽemprisonnement de lŽInca Atahualpa par
Francisco Pizarro et ses hommes. LŽexploitation minière
aujourdŽhui réactivée selle le développement
de la ville durant la Colonie.
La région qui nŽa pas connu le nettoyage de fond propre
à une Révolution Culturelle de type maoïste,
regorge de trésors culturels et archéologiques.
Les fenêtres dŽ Otuzco et de Cumbayo, taillées
à même le roc en 500 avant J.C., avaient une
fonction funéraire. LŽautre trace de la présence
dŽune civilisation pré Inca est le site de Kuntur Wasi,
composé dŽun complexe cérémoniel et de
placettes où se cache une stèle extrêmement
bien conservée. Le ferru dŽarchéologie et de
treck ne manquera pas quant à lui de visiter le Cumbe
de Mayo. En chemin il croisera dŽautres curiosités
historiques (acqueduc, grottes et sanctuaires) et naturelles
(la forêt de pierre). De retour à Cajamarca,
il se régènerra dans les chaudes eaux thermales
des Baños del Inca.
Pour autant, à Cajamarca la culture andine ne se conjugue
pas seulement au passé. Expression de la mémoire
et de lŽinconscient collectifs des communautés paysannes
et Quechuas bordant Cajamarca, la musique est le reflet de
lŽêtre andin, de ses préoccupations comme de
ses joies. Au coeur de la vie quotidienne, elle accompagne
les travaux individuels et collectifs, les fêtes patronnales,
les cérémonies populaires comme les contes et
légendes. La musique fait ici écho à
lŽinépuisable diversité culturelle. Variété
des genres musicaux tout dŽabord, de lŽAntara (musique solitaire
jouée par les bergers) à la Talca destinée
a faire fuir les mauvais esprits. Variété des
mélodies ensuite, adaptées aux us et coutumes
et aux usages individuels ou collectifs. Variété
enfin des instruments, expressions artistico acoustiques de
chaque communauté.
Comme la religion, la musique semble être un terreau
propice au syncrétisme, à lŽadaptation et à
la résistance. Les instruments importés (de
la guitare au triangle en passant par le violon) ont été
incorporés à la musique traditionnelle. LŽarrivée
des radio K7 ou autres discomobiles nŽa en rien altéré
la préférence du public pour lŽénergie
humaine plutôt quŽélectrique. Mieux encore, elle
a permis la conservation et la diffusion dŽune tradition collective,
malmenée par lŽurbanisation et par la pénétration
télévisuelle ou commerciale des valeurs étrangeres.
K7 de musiques enregistrées avec les moyens du bord
ne sont pas des produits marketés et étiquetés
world music, mais des mini musées ambulants où
les musiciens sont a la fois guides et conservateurs. La résistance
est une question dŽacoustique. Elle ne se revendique pas mais
se vit et se joue. Dans les montagnes pour (sŽ) orienter se
distraire et ne pas avoir peur. Dans les foyers pour apaiser
les peines lorsque le bétail a été volé
ou emporté par des innondations.
Si les instuments sonnent et résonnent comme les montagnes,
les marchés, les fleuves ou les vents de la vallée
de Cajarmaca, ils sŽaccordent également aux dernières
tonalités drainées par le progrès technique.
LŽingéniosité et le savoir faire paysans permettent
dès lors toute sorte dŽimprovisations sonores, déclinées
à lŽinfini. La modernité est récupérée
en ce quŽelle a de plus concrêt et organique, et génère
de nouveaux instruments voire de nouvelles pratiques musicales.
Si le Shac Shar est un cerceau composé de capsules
de soda récoltées par les enfants, les paysans
soufflent dans ces mêmes bouteilles à la vue
des Huay Huash (chauves souris). Le son une fois émis
ferait fuir ces pédateurs de la nuit, qui raffolent
du sang de poulet. La musique vient aussi au secours de ceux
qui peinent à communiquer avec les membres de la communauté.
LŽinstrument parce quŽil recelle une part de chacun, est considéré
comme un membre de la famille à part entiere. Un parent
qui suivant les aléas du Destin divertit ou attriste.
LŽinstrument le plus pittoresque et le plus spectaculaire
de par sa taille (de trois a cinq metres) demeure le Clarïn.
Seul le Nord de lŽArgentine abriterait un instrument similaire,
lŽErca, plus petit et à plusieurs tubes. Instrument
propre à la vallée de Cajarmaca, le Clarín
ou Succha remonte à lŽépoque inca ou il était
fait de bronze. AujourdŽhui coéxistent deux types de
Clarín bien distincts. Le Chetilla de 5.5 mètres
de long aux tonalités plus graves qui lui valent le
surnom de Roncador (le ronfleur). Le Rambino plus modeste
(3.5 metres) joué lors des fêtes patronnales
pour accompagner les danses. En véritable leader le
joueur de Clarín ouvre et cloture le bal, bât
la mesure et communique à lŽensemble du groupe ses
émotions. Lors des mingas (travaux communautaires)
le son du Clarín est le signal de ralliement. Les travaux
débutés, le son du clarín semblable à
celui dŽune trompette donne du baume au coeur et indique aux
retardataires quŽils peuvent encore se joindre au groupe
Pour
de plus amples informations sur les treck de Cajamarca
contacter Franck, guide résident à l hotel
Esperanza ou Sixto Carrera Montes le chef francophone
du restaurant italien Omgri (calle Jr. San Martin 360).
Juan Antonio Fave Huangal professeur retraité
est lŽorganisateur du festival annuel de musique de
Clarín. Il réside au 142 de la calle Junin,
ne parle pas francais mais dispose dŽune multitude dŽenregistrements.
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La
légende veut que les mauvais esprits ne sŽattaquent pas
à celui qui marche accompagné de son Clarín.
Le diable aurait peur du carrizo. Originellement le carrizo
moracho (laîche noir, long et droit) est utilisé
pour élaborer lŽinstrument. Une fois découpé,
il est perforé par un fil de fer. Le tube est vidé
de ses impuretés à lŽaide de ronces de mûres.
Elément clef du Clarín la boquilla (emboûchure)
mesure une quinzaine de centimètres. Y est percée
une ouverture de quelques centimètres où souffle
le musicien. A lŽautre extrêmité, se trouve la
calabaza en forme de courge qui sert dŽamplificateur. Dans les
communautés, lŽart du Clarín se transmet de père
en fils. Le musicien est bien souvent le créateur de
son instrument. Souffle et endurance sont les deux qualités
requises pour pouvoir jouer des eures durant.
Le Clarín du troisième millénaire nŽa certes
plus grand chose à voir avec son lointain aîeu
inca. Le laiton remplace désormais la laiche devenue
rare. Parfois coupé en deux ou enrichi dŽornements, le
Clarín des temps modernes serait presquŽune errésie
pour le puriste si le plaisir de jouer ne demeurait identique.
Cette évolution est en quelque sorte une courte représentation
de la réalité du paysannat indigène latinoaméricain.
Face aux changements socioculturels, résister, sŽadapter,
changer, ou disparaître. |