Suis-je bien en Finlande ?
En cette soirée d’été, tout, autour de moi, attise mon interrogation
: plage de sable, ciel bleu, soleil rayonnant, jeu des enfants
dans l’eau ... S’il n’y avait les paroles de leur mère, que
je devine attentionnées, lancées à voix haute comme un rappel
à l’ordre, je jurerais m’être trompé d’avion et avoir atterri
sur quelque île paradisiaque inconnue des explorateurs. Mais
les consonances nordiques entendues effacent mes doutes et
me confirment que je suis arrivé à destination. Quelques heures
plus tôt, au coeur de Paris, et maintenant au milieu d’un
paysage d’où n’émanent que l’harmonie et la sérénité.
La
transition, ou, devrais-je dire, la téléportation, tant le
changement d’ambiance est rapide, laisse à peine le temps
de se préparer à cette rupture radicale. Deux heures trente
dans les airs suivies par trois heures sur l’asphalte pour
progressivement délaisser la frénésie des métropoles. Dès
la sortie de l’aéroport, au nord d’Helsinki, la nature témoigne
sa présence à travers les vitres du bus, sous la forme d’élans
figurant sur les panneaux indicateurs. On se sent dès lors
bien loin de la faune parisienne.
À
Lahti, bourgade perdue au milieu du dédale de forêts et de
lacs, première rencontre insolite en attendant le prochain
bus : un homme notablement aviné, d’apparence “clocharde”,
s’approche et lie conversation. L’éventail des sujets abordés
étant restreint du fait de notre ignorance réciproque du langage
de l’autre, il en vient à utiliser un vocable universel, fredonnant
La Marseillaise et parlant de Fernandel. Puis, comme
sous le coup d’une révélation, voyant en face de lui le voyageur
qui changera le cours de sa vie, il se dirige vers un kiosque
et en revient avec ce que je prends pour un ticket de loto
sportif, qu’il me tend accompagné d’un stylo afin que je coche
les cases qui désigneront les équipes gagnantes. Mes connaissances
en football étant sans limite — je sais en effet que ce sport
se pratique avec un ballon rond — je laisse le hasard guider
ma main.
La
tâche accomplie, il est temps de sauter dans le bus sans pouvoir
dire au revoir à mon interlocuteur qui est parti valider le
précieux document. Ne resterai-je à ces yeux qu’un mirage ?
Je poursuis donc ma route, laissant peut-être derrière moi,
sans que j’en puisse jamais avoir confirmation, le premier
mendiant finlandais devenu millionnaire par la main providentielle
d’un étranger. En revanche, ce que je sais avec certitude,
c’est qu’à la fin de ce voyage, au moins l’un de nous deux
sortira gagnant. Seuls les gains différeront. [
à suivre... ]
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