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Tour
d'Amérique latine |
Le
bonheur est dans la vallée |
par
Florian
Coat |
Sorata
a la réputation de disposer du plus ravissant paysage
bolivien et lavantage dêtre facilement accessible.
Les bus sont en partance du cimetière général, un joyeux
fourbis où se mêlent les bus à destination du lac Titikaka
et une masse compacte de vendeurs ambulants. Le voyage
dure quatre heures. A lAltiplano vierge, glacé
et venteux parsemé de lacs aux formes nonchalantes succède
une descente spectaculaire au coeur de la vallée interandine
de Sorata. Le désert se dérobe alors laissant place
à une végétation luxuriante qui recouvre des versants
fertiles. De petits hameaux parsèment les longs lacets
qui glissent vers Sorata délicatement posé sur un versant,
à quelques kilomètres plus bas. Les enfants accompagnent
du regard le bus qui pénètre sur la place centrale.
La température est douce en cette fin daprès midi.
De gigantesques pins et palmiers fanfaronnent et dégagent
une quiétude et une paix rares. La place a quant à elle
vu défiler les ambassadeurs de la gastronomie dite globale
aux sempiternels hamburgers, pizzas servis dans un décor
doucement exotique. Ici, alors que rien ne prédisposait
encore ce lieu à une manne touristique, un couple bolivien
décidait de sy installer, il y a de ça quinze
ans. Lidée du restaurant est venue en chemin.
Rencontre.
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« Cest
une alchimie entre un rêve et un lieu. On na pas joué
aux clowns. On a été nous mêmes : humains, simples et spontanés »
lâche Roxana, tout en souriant au couple de jeunes allemands
qui passe commande auprès de son époux Johnny. Et dajouter
avant de poliment nous abandonner pour glisser vers ses fourneaux
: « on sest aussi impliqué dans la vie du village
en faisant partie du syndicat agricole ».
Il y a peu linauguration de leur deuxième restaurant leur
a valu un hommage solennel rendu en grandes pompes par le maire
et léquipe municipale de Sorata, tandis que les habitants
sétaient donnés rendez vous au balcon pour saluer lévénement.
Oubliés un court instant les vaches maigres et lapprentissage
de lautosuffisance alimentaire, laccueil tout en
méfiance des autochtones et le premier « resto »
monté avec les moyens du bord... Aujourdhui le couple
savoure le fruit de ces quatorze années de travail qui ont filé
à mesure que leur rêve prenait corps.
Leur vraie romance néorurale débute donc il y a une quinzaine
dannée. « Lhistoire est un peu longue »
souligne tout sourire Johnny, ancien guide ayant passé la moitié
de sa vie en Europe. Aussi inexplicable que naturelle. Très
personnelle et répondant au rêve de quitter lUrbs pour
la campagne et dy fonder une famille. Ce rêve les a tranquillement
mené à Sorata, pittoresque village dune vallée interandine,
pour « cuisiner au feu de bois, séclairer à la
bougie, vivre de son potager et boire leau de la rivière »
se souvient Roxana. Le couple se lance alors frénétiquement
dans la lente construction de « leur » maison.
Les murs originels provisoirement constitués de plastique préoccupent
les communautaires de Sorata peu convaincus de leur vertus isolantes.
Des communautaires du reste perméables à larrivée inopinée
de ces étrangers, et troublés par ces « blancs »
quils assimilent à des personnages dun autre temps
: les hacendados, ces propriétaires terriens descendants directs
de familles espagnoles qui surexploitaient et terrorisaient
bien souvent le paysannat latino américain.
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La
méprise tarde à se dissiper. La conviction du couple sendurcit.
La maison prend forme. Un enfant naît. Toujours pas de projet
de restaurant en vue, jusquà larrivée surprise de
lambassadeur dIsraël. Souhaitant « sexpliquer »
limplantation de membre de la diaspora, il se rend à Sorata
accompagné de ses homologues français et italien. Peu convaincu
des vertus de la gastronomie locale il demande à Roxana et Johnny
de leur préparer le déjeuner. Course poursuite à la recherche
de couverts et de produits, les oeufs sont importés de La Paz
et la viande rationnée, pour préparer et servir un déjeuner
digne de ce nom. La note pas assez salée provoque des rires
diplomatiques des hôtes qui paient le triple, contents. Cette
expérience met la puce à loreille du couple. Ils ouvriront
un restaurant. Départ pour les Etats Unis dAmérique pour
se refaire financièrement et ouvrir deux années plus tard un
restaurant à Sorata. A lépoque quelques touristes égarés
passaient accidentellement une fois lan. Depuis Sorata
comme bon nombre de lieu idyllique a vécu sa révolution touristique.
Au grand bonheur de la mairie. Johnny et Roxana ont eu du flaire
et ont en quelque sorte essuyé les plâtres pour dautres,
souvent étrangers et moins scrupuleux, qui installent ici et
là un restaurant temporaire répondant à un cahier des charges
préfabriqué et occidenta-ciblé.
Les pionniers ne se veulent pas aigris par tant dopportunisme.
Tout juste savouent-ils amers lorsque de nouveaux arrivants
sinstallent sans estimer bon de sintégrer à la « communauté ».
Leur nouveau restaurant ne désemplit pas preuve que lon
peut passer les modes et persister sans abandonner sa sincérité.
Pour Johnny côté salle, « Roxana est une excellente
alchimiste jonglant entre cuisine raffinée et familiale ».
Pour Roxana côté fourneaux, « les produits viennent
presque tous du potager et les recettes sont en constante évolution. »
La carte est de ce bois là : hétéroclite et globale, végétarienne
et régionale.
A voir Johnny patiemment prendre commande en anglais, un parfum
daccomplissement chatouille les narines. Emue, Roxana
déclare vivre dans un lieu idéal « pour ceux qui
souhaitent créer car linspiration et le calme sont ici
à chaque coin de rue. » Encore hermétique au petit
écran, le couple vit intensément avec ceux qui lentourent.
Quil sagisse du pragmatisme paysan ou des rêves
et récits touristiques. Des rêves bien sûr ils en ont encore.
Leur souhait inchangé, se décline comme une maxime. Saches quel
sol tu piétines, sache pourquoi et remercie lEternel de
maintenir intact tant de beauté. |
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