Le samedi 2 avril 2005
Révélations sur la mort de Zahra Kazemi

Un médecin iranien ayant examiné la photojournaliste canadienne témoigne des atrocités qu'elle a subies - Lu dans le quotidien canadien "Le Devoir" en date du 1er avril 2005

Ottawa - La mort de la photojournaliste irano-canadienne Zahra Kazemi, sauvagement torturée par les services secrets iraniens en juin 2003, ne doit pas rester impunie, ont soutenu hier le premier ministre Paul Martin et le ministre des Affaires étrangères Pierre Pettigrew. Les nouvelles révélations faites hier par le médecin iranien qui a examiné la journaliste à l'hôpital ont motivé les autorités canadiennes à n'exclure aucune option pour punir l'Iran, même si les actions concrètes devront encore attendre.

C'est un récit bouleversant, truffé de détails horribles, qu'a fait aux médias à Ottawa le médecin iranien Shahram Aazam, récemment réfugié au Canada après un détour de cinq mois en Suède pour échapper aux autorités de Téhéran. C'est lui, peu avant minuit, le 26 juin 2003, qui avait examiné Zahra Kazemi.

Arrêtée le 23 juin 2003 à l'extérieur de la prison d'Evin, près de la capitale iranienne, alors qu'elle photographiait une manifestation, la journaliste irano-canadienne venait de passer près de quatre jours en prison quand le Dr Aazam l'a reçue à l'hôpital militaire de Baghiatollah, à Téhéran. Déjà, le choix de l'urgence témoignait du sérieux des blessures subies par Mme Kazemi puisque l'hôpital de Baghiatollah est l'un des mieux équipés au pays.

Accompagnée de trois gardes, Zahra Kazemi est admise pour «des problèmes à l'estomac». On peut cependant lire sur les documents officiels qu'elle «vomit du sang», a expliqué Shahram Aazam hier. Sur place, il constate que c'est en fait beaucoup plus grave. Lorsque la civière sur laquelle gît Zahra Kazemi est transportée devant le Dr Aazam, la journaliste est inconsciente et repose dans un état critique.

La liste de ses blessures est interminable. Mme Kazemi a le nez fracturé, les deux yeux tuméfiés et d'énormes ecchymoses sur le visage jusqu'aux oreilles; elle a le crâne fendu à l'arrière; trois profondes coupures de plusieurs centimètres marquent son cou, «comme si quelqu'un avait planté ses ongles dans sa nuque»; son omoplate droite tire sur le mauve; des contusions couvrent presque tout son abdomen; sa cuisse gauche est bleu foncé; ses pieds sont dans un piteux état, et son gros orteil droit est réduit «en bouillie»; des ongles d'orteils ont été arrachés, tout comme plusieurs ongles de ses doigts; elle a deux doigts cassés; l'arrière de ses jambes laisse voir de profondes lacérations, «comme si on l'avait fouettée violemment», et des marques extrêmement violentes aux parties génitales témoignent d'un «viol brutal».

Si, aujourd'hui, le médecin raconte calmement cette nuit de juin où il a tenté de sauver Zahra Kazemi, mais sans succès, il en aurait été autrement à l'époque. Le Dr Aazam a raconté avoir été bouleversé par ce qu'il a vu. «C'était la première fois que je voyais un cas de torture. Ça m'a choqué. Il n'y avait aucun doute que ses blessures avaient été causées par de la torture sur une assez longue période puisque certaines marques étaient plus vieilles que d'autres. On m'a dit que c'était une journaliste qui avait été arrêtée et qu'elle venait de la prison. Ça m'a affecté. C'était mon devoir de trouver un moyen d'en parler.»

Il a donc quitté l'Iran sous un faux prétexte et pris le chemin de la Suède, où il connaît des gens, pour ensuite faire une demande de statut de réfugié au Canada. Conscient de la valeur de son témoignage et du danger qu'il courait, Ottawa a accéléré le traitement de sa demande, qui a finalement été acceptée il y a quelques jours.

Les avocats du fils de Zahra Kazemi, Stephan Hachemi, ont soutenu hier que ces nouvelles preuves donnent des arguments supplémentaires au Canada dans sa lutte contre l'Iran pour faire la lumière sur toute cette affaire. En effet, l'Iran continue de soutenir que la journaliste est morte d'une hémorragie causée par une chute survenue après une grève de la faim qu'elle aurait faite. Un procès pour inculper un agent des services secrets iraniens a rapidement tourné à la mascarade l'été dernier alors qu'il a été acquitté de l'accusation de meurtre «quasi intentionnel».

Pour signifier son mécontentement, le Canada avait alors rappelé son ambassadeur en Iran, qui est d'ailleurs retourné là-bas il y a peu. C'est samedi dernier seulement qu'il a reçu ses lettres de créance lui permettant d'ouvrir le lien diplomatique de nouveau.

Les révélations du Dr Aazam ont poussé Ottawa à réagir hier, sans toutefois promettre d'action concrète pour l'immédiat. Le conseiller spécial de Paul Martin sur les affaires étrangères doit rencontrer les avocats de Stephan Hachemi dans les prochaines heures pour évaluer les options, a promis le premier ministre. «En ce moment, on pense non seulement à Mme [Kazemi] et à toute l'expérience horrible qui a mené à sa mort mais aussi à son fils», a déclaré le premier ministre Paul Martin lors d'un point de presse à Whistler, en Colombie-Britannique, s'engageant du même coup à «prendre les mesures nécessaires» pour que justice soit faite.

En début d'après-midi, le ministre des Affaires étrangères, Pierre Pettigrew, avait exclu un nouveau rappel de l'ambassadeur canadien à Téhéran. «Nous avons besoin de notre ambassadeur précisément pour faire ce travail de promotion de la justice en Iran», a expliqué le ministre lors d'un point de presse à Toronto.

Selon M. Pettigrew, les révélations de M. Aazam ne font que montrer une fois de plus que le Canada a raison dans ce dossier. «Ça ne change pas l'opinion que l'on a de cette histoire, au contraire, ça ne fait que confirmer ce que nous savions. Le meurtre est survenu en Iran, et le système judiciaire iranien a échoué à chaque tentative de faire la lumière là-dessus. L'Iran continue de contrevenir aux droits de la personne les plus élémentaires, et cette situation doit cesser. La famille a besoin de réponses, les Canadiens veulent des réponses, et nous n'allons pas arrêter nos efforts tant que justice ne sera pas rendue.»

Castonguay, Alec

Le samedi 17 septembre 2004
Iran: procès du meurtrier de la photographe Zahra Kazemi

Zahra Kazemi, arrêtée fin juin 2003 alors qu'elle prenait des photos devant la prison d'Evine à Téhéran, est morte d'une hémorragie cérébrale en juillet. Des coups reçus au cours de sa détention avaient été reconnus comme la cause du décès.

Le 24 juillet 2004, un tribunal de Téhéran a acquitté l'agent des renseignements mis en cause. Et fin juillet, la justice a estimé que la journaliste pouvait être morte accidentellement.

En dépit des efforts apparents de la justice iranienne pour classer l'affaire, M. Assefi a insisté sur le fait que «l'affaire n'est pas encore close». Mi-août, l'équipe d'avocats dirigée par le prix Nobel de la paix Shirin Ebadi a fait appel de la décision du tribunal.

Rappel des faits.

Le procès de l'agent des renseignements iraniens accusé d'avoir tué en 2003 la photo-journaliste irano-canadienne Zahra Kazemi a repris samedi à Téhéran, avec en toile de fond le dossier sensible des droits de l'Homme.

Des diplomates de l'ambassade du Canada, de Grande-Bretagne et des Pays-Bas (qui président l'Union européenne) ont été admis dans la salle d'audience, selon une source diplomatique. L'avocate iranienne Shirin Ebadi, prix Nobel de la Paix 2003, a été vue entrant au tribunal aussi. Elle doit représenter la famille Kazemi.

Mohammad Reza Aghdam Ahmadi, 42 ans, qui avait participé aux interrogatoires de la journaliste lors de sa détention en Iran, doit répondre d'une accusation de meurtre "quasi intentionnel". Il est passible d'une peine allant jusqu'à trois ans de prison et le paiement du "prix du sang" à la famille de la victime, soit 80 millions de riyals (9.200 dollars). Zahra Kazemi est morte en juillet 2003 à l'âge de 54 ans après avoir été frappée mortellement à la tête alors qu'elle se trouvait en détention pour avoir photographié les alentours d'une prison de Téhéran.

Cette affaire a porté un coup aux relations entre l'Iran et le Canada et a jeté une lumière crue sur des agissements au sein des services de sécurité iraniens, dénoncés de longue date par les organisations de défense des droits de l'Homme. Le Canada avait rappelé le 14 juillet son ambassadeur à Téhéran pour protester contre le refus iranien, dans un premier temps, d'autoriser des observateurs canadiens au procès. Le procès a repris alors que la question des responsabilités dans ce meurtre n'est toujours pas tranchée.

Pour la justice iranienne conservatrice, le ministère des Renseignements (une instance rivale, considérée comme proche du gouvernement réformiste du président Mohammad Khatami) est clairement responsable de la mort de la photographe. Les services de renseignement, eux, crient au scandale, de même que les Canadiens, les associations de défense des droits de l'Homme et M. Khatami en personne, qui considèrent que l'accusé sert de bouc-émissaire.

"Selon mes informations, je pense toujours que l'accusé n'est pas coupable. J'espère que le tribunal, avec détermination et courage, désignera le vrai coupable", a déclaré le président iranien mercredi. Après son arrestation le 23 juin 2003, alors qu'elle prenait des photos à l'extérieur d'une prison de Téhéran où étaient détenus des opposants au régime, la photographe avait été interrogée par plusieurs services de la sécurité interne iranienne.

Entre le moment de son arrestation et celui de son admission à l'hôpital, quatre jours se sont écoulés durant lesquels Kazemi est passée tour à tour entre les mains des agents du parquet, de la police, puis de nouveau du procureur et enfin des Renseignements. La journaliste a finalement succombé à l'hôpital le 10 juillet d'une hémorragie cérébrale après avoir reçu des coups à la tête. Son corps a par la suite été rapidement enterré dans le sud de l'Iran et sa mère Ezzat Kazemi s'est plainte d'avoir été soumise à des pressions pour qu'elle ne renvoie pas la dépouille au Canada, comme le réclamaient le fils de la défunte et Ottawa.

Stephan Hachemi, le fils de Kazemi, qui réclame toujours le rapatriement du corps de sa mère au Canada pour une autopsie indépendante, a estimé que le procès était "une mascarade, une totale mise en scène". La première audience du procès de M. Ahmadi s'était tenue le 7 octobre 2003. Le procès avait été ajourné après que l'accusé eut rejeté les charges portées contre lui. (Source AFP)

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